• Lorsque Sherockee se réveilla, elle vit un visage tout rond penchée au-dessus d’elle. Elle sursauta et cogna sa tête dans l’autre.

    – Aïe ! Désolée, je suis un peu peureuse…

    – Un peu, un peu… Ce n’est pas grave, mais il faudra que je m’abstienne de me pencher au-dessus de toi lorsque tu te réveilles à l’avenir !

    Sherockee se retourna. Le petit homme lui souriait en se frottant la tête. Il était paré d’une chasuble marron et rouge, décorée de blanc. L’homme était dépourvu de cheveux et avait de petits yeux gris légèrement typés. Sherockee le connaissait déjà, elle l’avait déjà vu. Ils avaient sympathisé lorsque Sherockee était venue. L’homme sourit.

    – Dis-moi, cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas vu. Pourquoi es-tu venue ?

    – Tu ne le sais pas ? Pourtant, c’est toujours la même raison depuis le début…

    – Non, ça je le sais. Mais pourquoi es-tu venue ?

    Sherockee inclina la tête. Elle fixa le petit homme dans les yeux, cherchant une réponse. Mais elle ne réussit pas à trouver. Elle fronça les sourcils.

    – Comment ça ? Je ne comprends pas.

    – Pourquoi es-tu venue ? Tu dois t’en rappeler, on te pose toujours cette question.

    Sherockee fouilla dans ses plus profonds souvenirs. Elle regardait autour d’elle, cherchant un indice. Un simple indice l’aurait aidé, mais elle ne trouvait pas. Elle cherchait désespérément, devant le regard amusé de l’homme.

    – Eh bien, alors, ma vieille? Tu ne fais pas ton âge, mais dis-donc, du côté de la mémoire… Bien, lorsque tu auras retrouvé, tu me le diras. En attendant, te rappelles-tu la dernière fois que tu es venue ?

    – Non… Enfin, seulement quelques brides… J’ai l’impression d’être un tableau sur lequel on a passé un chiffon… De plus en plus souvent j’oublie des choses qui me paraissaient simples il y a encore peu de temps. Je ne sais pas si mon passage ici m’aidera à m’éclaircir les idées, mais je l’espère. Ça devient vraiment embêtant, surtout dans mon cas en ce moment sur Terre…

    – Oui, j’ai vu qu’il t’est arrivé beaucoup de choses ces derniers temps. D’ailleurs, j’ai une question à propos de ça. Pourquoi t’être enfuie du centre pénitencier ?

    Sherockee ouvrit la bouche, mais se ravisa et décida de réfléchir un peu. Elle se repassait dans sa tête ce qu’il s’était passé. Finalement elle se tourna vers l’homme, mais sans le regarder dans les yeux.

    – Je ne me rappelle plus vraiment ce qu’il m’est passé par la tête, mais je me souviens que je ne me contrôlais plus. Il fallait que je sorte, il fallait que j’aille voir l’extérieur et que je fasse comprendre aux autres qu’ils ne pouvaient pas me tenir comme ça, en cage. Ils ont commencé par rigoler lorsque je leur ai dit que je pouvais m’enfuir, puis ils ont essayé de me retenir encore. Je ne voulais plus qu’ils me considèrent comme si j’étais une dangereuse, comme une criminelle qu’il fallait enfermer. Mais, là, je crois que ça va être encore pire. Non, en fait je ne crois pas, j’en suis sûre !

    Elle fit un petit rire. L’homme en face d’elle semblait maintenant réfléchir. Elle respecta le silence qu’il imposait. Elle vit le petit oiseau qui l’avait accompagné jusque-là virevolter. Elle voulut aller le voir, pour laisser le petit homme réfléchir seul. Elle se leva, mais elle tomba, à cause d’une violente douleur dans sa jambe. L’homme se précipita pour l’aider.

    – Est-ce que ça va ?

    – Oui… Je crois. C’est juste que j’aie eu un peu de mal à venir… Il faudrait que je m’améliore en escalade, en tout cas en vitesse !

    – Oui, Ils n’ont pas fait les choses à moitié cette fois… Peut-être t’en veulent-Ils… Je ne sais pas pourquoi, mais peut-être. Veux-tu que je t’aide ?

    – S’il te plaît… D’ailleurs, en même temps…

    – Non, pas tout de suite, il faut que l’on continue à parler ; je n’ai pas encore discerné ce qu’il faut. Et puis, tant que tu n’auras pas répondu à la question, je ne commencerai pas.

    – J’y ai réfléchi ! Je ne sais pas si c’est la bonne réponse, mais je tente ! Je viens pour pencher la tête lorsque tu me poses cette question !

    Sherockee rit, suivit du petit homme. Elle se redressa, aidée par l’autre. Elle fit quelques pas et l’oiseau vint se poser à côté d’elle. Elle essaya de lâcher le bras de l’homme, mais finalement s’assit, encore trop déséquilibrée. L’homme regarda l’oiseau.

    – Je n’ai jamais vu cet oiseau ici. Depuis quand te suit-il ?

    – Depuis… Depuis que je suis arrivée dans la forêt, je crois.

    Sherockee prit délicatement l’oiseau dans le creux de ses mains et lui caressa la tête. L’oiseau se laissait complètement faire, il semblait en parfaite confiance. Le petit homme était troublé, il fixait l’oiseau.

    – Mais que peux-tu faire ici ? Tu n’es pas d’ici, toi… Sherockee ?

    – Oui Ademes ?

    – Cet… Oiseau, pourrait-il venir de l’autre côté ?

    – Non… Je ne l’ai jamais vu nulle part. Ni sur Terre, ni ailleurs. Mais il me dit quelque chose quand même… Je ne sais plus où je l’ai vu. Attends, je vais m’en souvenir…

    Sherockee cherchait. Elle réfléchit quelques minutes. Ademes la regardait, il vit la petite étincelle qui traversa ses yeux. Elle regarda son cou et ses doigts pincèrent quelque chose, comme si elle prenait une chaîne invisible. Et c’est ce qu’elle faisait. Une petite chaîne, toute fine, apparue lentement sous ses doigts, brillante comme un diamant. Ses doigts descendirent le long du collier, pour arriver à un petit médaillon, en forme d’oiseau, finement sculpté dans de l’or, incrusté de pierres rouges, vertes, violettes, jaune et bleu, avec une petite étoile de perles blanches sur la tête. Sherockee regarda l’oiseau, toujours posé sur sa main, puis son collier ; elle n’en revenait pas. Ademes semblait troublé. Il ne disait plus rien, il pinçait ses lèvres. L’oiseau monta sur l’épaule de Sherockee et frotta sa tête contre son cou. Sherockee le prit délicatement et l’approcha de son visage.

    – Tu ne viens pas d’ici, je ne t’ai jamais vu ailleurs. Mais d’où viens-tu alors ? Pourquoi ressembles-tu autant à mon collier ? Alors ?

    Elle regardait l’oiseau dans ses petits yeux. Ils se fixaient. Elle sourit et caressa la petite tête de l’oiseau. Elle secoua la tête et se tourna vers le petit homme, qui n’avait pas bougé.

    – Ademes… Penses-tu que l’on puisse créer quelque chose, sans s’en rendre compte ?

    – Je ne sais pas ; tout est possible, tant qu’il y a de la croyance.

    – Alors, je sais d’où il vient. J’ai traversé un lac… Je crois que tu sais. J’ai ressenti une oppression, une angoisse… Horrible. Et puis, à un moment, lorsque j’ai regardé l’étoile ; tout d’un coup, j’ai éprouvé une sensation de solitude, une sensation plus forte même. Je ne sais pas comment décrire, mais j’ai souhaité de tout mon cœur d’avoir quelqu’un pour m’aider, pour me comprendre. Et il est arrivé. Mais j’ai encore une question, ça me turlupine. Pourquoi est-il comme mon collier ?

    – Premièrement, il faut se poser les bonnes questions. C’est une bonne question que tu te poses, mais pas au bon moment. Deuxièmement, il faut se poser les bonnes questions au bon moment. Alors réfléchis encore un peu, et tu comprendras peut-être.

    C’est ce que fit Sherockee. Elle réfléchit pendant de longues minutes, en caressant la tête de l’oiseau. Ademes souriait, amusé de la voir la tête penchée comme ça. Finalement, elle sourit et hocha la tête.

    – D’où vient ce collier…

    L’homme sourit. Sherockee replongeait dans ses souvenirs, revivant chaque instant.

     

    « Ma vie a commencé il y a trop longtemps pour que je me souvienne exactement quand. Mon premier battement de cœur fut le battement brut, initial, un déchaînement d’énergie. Je ne sais pas d’où je viens, je suis née sourde et aveugle avec peu de sensibilité ; le monde qui m’entourait n’était qu’imagination, supposition et hypothèse. Je ne savais rien de moi, rien de ce qui m’entourait. J’ai commencé à imaginer, à inventer ce que je pourrais toucher, sentir, voir et même entendre. J’ai inventé toutes sortes de choses, en beaucoup de temps ; mais la patience devint une de mes qualités. Après, j’ai commencé à sentir ce que j’imaginais se former ; progressivement, j’ai appris à maitriser ce que j’ai appelé les “éléments”. La lumière m’arriva la première fois lorsque je fis un anneau d’un de ces éléments. Une lumière trouble d’abord, qui au fil des années s’éclaircie et devint plus nette. Plus tard, je leur donnais des noms à chacun. Le feu était ma lumière et ma chaleur. L’eau était ma source de douceur ; lorsque mes exercices me blessaient, elle m’apaisait. Le souffle du vent et l’air formaient un couple qui m’apaisait, me portant dans des rêves magnifiques. La matière enfin me révélait chaque jour un nouveau touché, une nouvelle sensation sous mes doigts. Ce n’est que plus tard qu’elle devint “la terre”. Les éléments…

    Je les réunis un jour, pour savoir ce qu’ils pouvaient former ensemble. Ils se déchaînèrent entre mes doigts en un instant, formants un ensemble magnifique, une merveilleuse danse qui se déroulait sous mes yeux. Les éléments s’entremêlaient, se repoussaient ou s’assemblaient. Ils m’entourèrent, comme pour me remercier. Puis, ils me rentrèrent dans le corps, ils dévoilèrent ce collier. Le collier apparu sur mon cou, comme il le fait maintenant sous mes doigts. Rien ne me disait s’il était là depuis le début, ou si c’était les éléments qui me l’offraient. Mais ce magnifique bijou m’a toujours accompagné, n’importe où. Il est là comme pour me rappeler ce que je suis, et de là où je viens. Son invisibilité s’est ensuite couplée avec l’imperceptibilité. Personne ne peut le sentir, le voir ou le deviner sans que je ne l’aie fait apparaitre. Même avec les engins les plus performants, personne ne peut le détecter. »

    Sherockee rouvrit les yeux. Ademes lui sourit. Elle était restée comme ça un bon moment, mais il n’avait pas bougé. Elle semblait encore dans ses réflexions, mais Ademes voulait tout savoir.

    – Alors ? As-tu trouvé la réponse que tu cherchais ? Ou tes pensées doivent rester des hypothèses ?

    – Deux hypothèses… Mais je crois que j’ai trouvé quelque chose d’intéressant. Mais il faudrait que j’ai le total contrôle de moi-même. Peut-on…

    – Pourquoi es-tu venue ?coupa Ademes.

    – Tu ne lâches pas l’affaire ! Quelle tête de mule…

    Sherockee réfléchit encore. Ademes s’amusait beaucoup. Il avait un grand sourire. Sherockee sourit et se retourna vers lui.

    – Je viens parce que la détermination de voir les mondes progresser vers l’équilibre me porte chaque jour, parce que je veux que les créations suivent un chemin qui ne les mènera pas à leur perte. Mais pour ça, j’ai besoin de savoir qui je suis, et d’avoir parfaitement confiance en moi.

    Ademes fit une moue sceptique, il n’avait pas l’air convaincu. Sherockee sourit.

    – Et aussi pour venir te voir…

    Ils éclatèrent de rire. Ademes aida Sherockee à se relever et ils se dirigèrent vers une grande porte, non loin du grand mur. Certaines pierres semblaient flotter en l’air, tant le mur était miné et massacré par le temps. Ils poussèrent la porte. Elle grinça, et s’ouvrit sur une simple cour pavé et enneigé, aussi détruite que les murs. Des bougies étaient disposées par terre, en formant des spirales créant un cercle dans lequel Sherockee s’installa. Avec son aide, Ademes alluma une à une les bougies. Sherockee utilisait une petite flamme sur le bout de son doigt et Ademes une longue allumette. Chaque fois qu’une petite lumière illuminait une mèche, une petite partie des murs apparaissait ou se constituait. Il y avait plus d’une centaine de bougies. Chaque bougie faisait une petite lueur dorée, semblable à celle de l’étoile accrochée en haut du mur. Lorsqu’ils eurent finit, un immense plafond se découvrait au-dessus d’eux. Un magnifique plafond décoré de somptueux motifs dorés et colorés. Une étoile était représentée au milieu de la voûte, entourée de nuages rosés sur un ciel noir, plein de petites lumières blanches. De formidables colonnes s’élevait jusqu’en haut, aussi cristallines que le plus beau des diamants. L’endroit baignait dans une lueur douce et claire ; la lumière était présente partout. Sherockee était émerveillée par cet endroit, bien que ce ne soit pas la première fois qu’elle y venait – elle ne se rappelait plus de la fois d’avant. Elle regarda les bougies et se tourna vers Ademes.

    – Qu’est-ce que l’on fait maintenant ?

    – Allonge-toi et ferme les yeux.

    Elle s’allongea en boule. Les bougies s’élevèrent légèrement du sol, flottant autour d’elle. Elle ferma les yeux et se laissa porter très loin.

    « – Qui es-tu ?

    – Je suis Sherockee !

    – Ah ! Oui, bien sûr… Mais sais-tu vraiment qui tu es ? Non ! Tu le crois, tu crois le savoir, mais tu ne sais rien ! Pourquoi es-tu venue ?

    – Encore cette question ?

    – Tu n’y as pas correctement répondu tout à l’heure ; heureusement qu’Ademes a été gentil ! Alors, maintenant, tu vas réfléchir trente secondes ! Mais dis-moi, ton âme et ton cœur ne sont pas les seuls à s’être assombrir…

    – Comment ça ?

    – Il faudrait te regarder dans un miroir de temps en temps… Tes yeux ne sont plus tellement les beaux yeux émeraude dont on nous parle sans cesse, ils sont plutôt vert sapin ! Tu ne l’as pas vu ?

    – Non… Mais vous, vous l’aviez remarqué. C’est ça votre force, n’est-ce pas ? Vous savez… Moi, je cherche à comprendre…

    – Tu as répondu à la question.

    Eh bien maintenant on va pouvoir passer à autre chose ! Allez, s’il vous plaît, maintenant, il faut que vous m’aidiez ; je n’en peux plus ! Je ne me contrôle plus, je ne me supporte plus !

    – D’accord…»

    Sherockee se réveilla brusquement. Ademes se tenait assit, en dehors du cercle de bougies. Celles-ci retombèrent lourdement au sol, le plafond disparu et les murs redevinrent des ruines. Sherockee haletait, elle ressentait une pression dans la cage thoracique, comme si ses poumons avaient doublé de volume.

    – Il y a quelque chose de bien étrange… Ils n’ont pas réussi, souffla Ademes.

    – Quoi ? Mais pourquoi ?

    – Je ne sais pas…

    Sherockee s’enferma dans un silence pesant. Elle fixait ses mains, furieuse contre elle-même. Elle savait qu’elle ne pouvait plus recommencer, que s’Ils avaient échoué, c’est qu’il y avait beaucoup plus qu’elle l’avait imaginé. Elle bouillonnait de fureur, mais était incapable de se calmer. Elle frappa du poing sur le sol, tant elle était énervée. Ademes sursauta et se rapprocha d’elle.

    – Calme-toi, tu ne dois pas exprimer ta souffrance dans ce lieu. Viens, nous allons sortir d’ici.

    Il prit Sherockee et l’emporta au-dehors. Lorsqu’il lâcha son bras, elle s’éloigna un peu. Elle était hors d’elle, elle s’énerva contre tout, frappant dans les pierres qui se brisaient en un seul coup de poing ; elle frappa dans une botte de neige avec le pied, en oubliant sa jambe douloureuse. Elle tomba au sol, en larmes. Elle n’avait plus de force, elle ne sentait plus rien. Ademes qui n’avait pas bougé jusque-là se dirigea vers elle. Elle se redressa, passa ses mains sur son visage et resta sans bouger. Le ciel se couvrit de nuages noirs, couvrants chaque parcelle de bleu.

    – Mais pourquoi ? Pourquoi ?

    – Pose-toi les bonnes questions au bon moment.

    – Mais c’est ce que je fais Ademes ! Mais je ne comprends toujours pas pourquoi ! Pourquoi !

    – Au bon moment ? Si tu te calmais d’abord… Après, peut-être que tu comprendras…

    Sherockee regarda Ademes droit dans les yeux. Il soutint son regard, et finalement se fut elle qui baissa la tête. Elle comprenait que sa rage ne servait à rien de toute façon ; elle s’allongea et mit ses mains sur son visage, en respirant calmement. Lorsqu’elle eut repris ses esprits, elle se redressa. Elle souffla longuement afin d’être sûr d’être bien calmer.

    – Bien, maintenant, je pense que tu vas pouvoir te reposer les questions.

    Sherockee n’écouta pas cette phrase. Elle était déjà plongée dans sa réflexion, abandonné dans un flot de pensés. Ademes l’avait compris. Le petit oiseau aux couleurs éclatantes vint voler juste à côté d’eux, mais compris, lui aussi, qu’il ne fallait pas déranger Sherockee. Il alla se poser sur l’épaule sur l’épaule du petit homme et se blottit dans un pli de son chasuble. L’homme caressa sa petite tête, puis lui gratta les plumes du cou. Il savait y faire avec les oiseaux, car celui qui logeait dans sa chasuble s’était endormi. Sherockee n’avait toujours pas bougé, mais elle semblait murmurer et compter sur ses doigts. Elle redressa brusquement la tête.

    – Ça y est, je viens de comprendre, murmura-t-elle. Ce n’est pas les pensées dans mon esprit le problème, ni ce qu’Ils ont fait… Seulement, mes problèmes ne viennent pas de là… Ils viennent de moi, de ce que je suis vraiment. Mon cœur a une faille, un précipice qui a toujours été là, mais qui s’est approfondi et a pris plus de place. C’est la partie que je ne peux pas contrôler, la partie plus sombre. Je suis une perle Ademes, toutes les perles ont une impureté, rien ni personne n’est parfait, moi non plus. Mais lorsque l’impureté prend plus de place, elle devient ingérable. C’est encore cette question de pouvoir qui uni et séparent les mondes, ce pouvoir que je ne connais pas assez pour le comprendre… L’impureté prend de la place, elle contrôle tout, puis petit à petit elle détruit. C’est tout.

    Ademes resta muet, le regard dans le vide. Sherockee se leva et marcha un peu. Elle reprenait le sens de l’équilibre, même si sa jambe était encore un peu douloureuse. Elle revint à côté de l’homme rondouillard, toujours cloué dans le silence. Il se tourna vers elle. Sherockee lui toucha l’épaule.

    – Ademes, ne t’enfermes pas dans le silence comme ça, tu ne le dois pas. Ça ne sert à rien, tu n’avanceras pas comme ça. Tu le sais mieux que moi.

    – Tu as raison… C’est seulement… Ce que tu viens de dire est…

    – La vérité, je sais. C’est dur, mais c’est comme ça. Ne t’inquiète pas. Allez, viens, on y va, il faut que je retourne de l’autre côté. J’ai des choses à finir, et ce n’est pas encore gagné !

    – Oui… Bien sûr. On y va.

    Il se leva et prit le bras que lui tendait Sherockee. Ils se dirigèrent vers l’arrière des ruines, en marchant tranquillement. Ils arrivèrent devant une imposante montagne, seule au milieu des plaines. Sherockee s’avança, mais Ademes la retint.

    – Comment vas-tu faire ?

    – J’ai une petite idée, mais il faudra que le directeur du FBI soit de bonne humeur…

    – Non, pour ça je ne m’inquiète pas. Mais pour… Cette faille, comment vas-tu faire ? Vas-tu la laissez te contrôler ?

    – Je ne sais pas… Il faudrait que je demande à quelqu’un qui en sait long sur les cœurs. Je sais exactement qui, mais reste à le trouver. Ne t’inquiète pas pour ça non plus, je vais remuer terre et ciel jusqu’à l’avoir trouvé. Je vais me débrouiller pour trouver une méthode pour me contrôler en attendant, mais ne t’inquiète pas, mon voyage ici m’a rappelé des choses que j’avais oublié. J’arriverai à me contrôler, j’y crois. Ne t’en fais pas.

    Sherockee enlaça amicalement Ademes et découvrit le petit oiseau endormi. Elle sourit et le caressa. L’oiseau ouvrit les yeux et regarda Sherockee.

    – Tu t’occuperas bien de mon ami, d’accord petit oiseau ? Je te donne ma confiance. Il faut que j’y aille maintenant, mais il vaut mieux que tu restes là. Au revoir, prenez soin de vous tous les deux.

    Elle se releva et partit en direction de la montagne. Elle gravit les roches, et malgré sa jambe, elle grimpait vite. Elle montait avec assurance, sans peur. En haut, tous les nuages s’étaient regroupés pour former une tornade, sombre et inquiétante, mais qui ne semblait pas affoler Sherockee. Elle arriva au sommet, se retourna et fit un signe de la main à Ademes qui le lui rendit. Ensuite, elle ouvrit les bras et se laissa porter par la tornade qui l’entourait. La tornade accéléra et devint si opaque que Sherockee n’était plus visible. La tornade disparue soudain, laissant place à un ciel magnifiquement bleu, et une belle étoile juste à l’endroit où se trouvait la tornade quelques secondes auparavant.


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  • 17

    Sherockee se sentit tomber tout d’un coup. Elle rouvrit les yeux et vit un ciel magnifiquement bleu ; elle se retourna et vit une forêt endormie par le gel se rapprocher sous elle. Elle tombait de haut, très vite. Elle essaya de se rattraper aux branches des arbres, mais elles se cassaient toutes. Sherockee arriva à quelques mètres du sol. Elle essaya encore de se rattraper, mais elle ne réussit pas. Elle arriva au sol, en roulant. Elle eut le souffle coupé, malgré ses précautions pour ne pas se faire mal. Enfin, elle réussit à s’arrêter. Elle se redressa lentement, des douleurs dans les membres se manifestèrent. Elle resta un moment sans bouger, essoufflée par le choc et les douleurs. Elle se frotta doucement les jambes, pour se réchauffer et réussit à se relever avec mille précautions. Elle marcha quelques mètres, le mal disparu. Elle regarda autour d’elle en marchant. Les feuillages étaient épais, très peu de lumière passait. Quelques trous dans les arbres permettaient de voir le ciel. Le gel recouvrait tous les feuillages, le froid semblait arrêter la vie. Sherockee ne savait pas où elle se trouvait, elle ne savait pas où aller. Elle décida de monter dans un arbre, le plus haut possible. Elle réussit à trouver un arbre immense, elle commença à grimper. Elle essayait de monter assez vite, mais le froid gelait ses doigts, et ses gestes étaient moins précis. Elle faisait très attention, un seul écart ou une inattention la ferait redescendre. Elle arriva sur une grosse branche où elle s’arrêta quelques minutes. Elle reprit son souffle et continua à monter. Elle commençait à voir l’horizon, mais elle monta encore. Finalement, elle arriva à la cime. Là, elle passa sa tête hors du feuillage. Un magnifique paysage se dévoilait. Les arbres formaient une forêt qui occupait une grande partie du paysage. Plus loin, des montagnes se dressaient majestueusement, sombres et effrayantes, droites et découpées. Sherockee leva la tête. Dans le ciel, aucun nuage, rien que du bleu. Seule une étoile brillait au loin, à l’opposé des montagnes. Sherockee se résolu à se diriger vers elle. Elle fit encore un tour d’horizon.

    « Si je descends, je ne saurai pas où je vais et je devrais remonter dans les arbres plusieurs fois pour bien me diriger… Alors que si je reste là-haut, je pourrais me diriger simplement, mais je devrais faire vraiment attention avec ce gel… Et puis la hauteur… Oh ! Et puis zut ! »

    Sherockee se balança un peu et sauta à l’arbre d’à côté. Puis encore à côté. Et ainsi de suite. Elle s’arrêtait parfois pour réchauffer ses mains, pour mieux s’accrocher. Enfin, elle arriva à une partie de la forêt moins dense. Elle descendit, lentement. Arrivée en bas, elle frissonna. Le paysage n’était plus le même. Cette fois, il y avait beaucoup moins de végétation, les rochers les avaient remplacés. Des rochers tranchants, semblants être tombé des montagnes. Ils formaient une petite colline que Sherockee gravit sans difficulté, mais elle se coupa beaucoup. Lorsqu’elle fut au sommet de la colline, elle vit un lac s’étendant à l’infini. Un lac dont l’eau semblait noire tant elle était opaque. Sherockee fut émerveillée par cette couleur étrange. Elle le regarda quelques secondes encore avant de perdre l’équilibre et de descendre toute la colline sur le ventre, tel un manchot sur la banquise. Elle réussit à ne pas se faire trop mal, mais eut quand même quelques coupures en plus. Elle s’arrêta sur le sable bordant le lac. L’étoile que Sherockee avait suivie semblait s’être rapprochée. Sherockee la fixa. Elle scintillait, émettant une petite lueur dorée, seule dans ce ciel si grand. Sherockee sentit une vague de tristesse l’envahir. Elle se sentait tout à coup aussi seule que cette étoile, dans ce monde qu’elle ne connaissait pas.

    Elle était déjà venue ici, mais le monde bougeait toujours. Le paysage ne restait jamais longtemps dans un même état. Tantôt, ce n’était que des forêts tropicales, tantôt de l’eau à perte de vue, parfois des montagnes et des volcans, ou encore un gigantesque désert. Lorsque Sherockee arrivait dans ce monde, elle ne savait jamais à quoi s’attendre. D’habitude, elle aimait découvrir ce monde ; mais aujourd’hui, elle se sentait mélancolique. Elle-même ne savait pas pourquoi. Elle se remit en marche après quelques minutes de méditation. Elle essaya de trouver un endroit où traverser le moins d’eau possible. L’opacité de ce lac ne la rassurait pas, mais elle dut se résoudre à le traverser quand même. Cela faisait maintenant une heure qu’elle marchait et elle n’avait toujours pas vu ne serait-ce que l’autre côté du lac. Elle s’arrêta de marcher et rentra dans l’eau. D’habitude, elle aurait été découvrir le fond de ce lac, mais cette fois-ci, elle sentait que quelque chose l’en empêchait. Elle se sentait différente, comme s’il manquait une partie d’elle-même. Elle nageait en réfléchissant à cela, toujours en surface. Elle nageait tranquillement, en visant toujours l’étoile. Brusquement, elle s’arrêta, incapable de continuer. Elle sentit une chose un peu visqueuse lui enrouler la cheville et la tirer vers le fond. Elle se débattit, elle n’arrivait pas à respirer sous l’eau. Elle avait compris : il lui manquait ses pouvoirs. Elle n’arrivait pas à remonter, elle cherchait de l’air, elle paniquait. Elle essaya de défaire cette chose qui lui entourait la cheville. L’eau devint de plus en plus opaque, étrangement rouge. Sherockee manquait d’air, mais essayait de retrouver son calme. L’eau était plus visqueuse, toujours plus rouge. La jeune femme réussit à détacher cette chose de son pied, elle remonta vite à la surface. Elle prit une grande bouffée d’air qui fut une libération. Elle considéra l’eau, ébahie et effrayée. L’eau ressemblait en tout point à du sang. Sherockee paniqua, nagea encore plus vite. Cette fois, des choses l’attrapèrent de partout, n’hésitant pas à déchirer ses vêtements pour ralentir sa course. Sherockee se battait contre ses choses, elle essayait de rester à la surface. Mais les choses étaient plus fortes, plus nombreuses. Elles tirèrent Sherockee au fond, mais cette fois elle ne put pas lutter. Elle réussit à rester en surface quelques minutes, mais la lutte était inégale et Sherockee impuissante. Elle finit par ne plus avoir d’air et par s’évanouir.

    Elle se réveilla allongée sur la plage. Elle se redressa et toussa. Elle cracha le sang qu’elle avait avalé et nettoya son visage de la main. Elle ne put pas retirer grand-chose vu qu’elle était complètement recouverte de sang, mais elle put se dégager un peu le visage. Elle se leva, se dirigea vers le lac et s’accroupi. L’eau était toujours opaque, mais elle était moins rouge. Sherockee passa la main dans le liquide. Elle se fit agripper et tirée. Elle fit un bond en arrière, en entraînant la chose avec elle. Elle resta pétrifiée lorsqu’elle vu de quoi il s’agissait. Une main, avec son bras, coupé et meurtrit de blessures. Sherockee resta en arrêt une seconde avant d’arracher brutalement ce bras de sa main en criant de peur. Elle resta un instant sans bouger, apeurée. D’autre bras émergèrent subitement de l’eau, puis des têtes et même des corps entiers. Tout cela flottait sur l’eau, comme des poissons morts, ou des bouées. Sherockee se pétrifia. Elle avait de plus en plus de mal à respirer, elle se sentait oppressée. Elle ne pouvait plus voir ce spectacle effrayant, elle se leva et se mit à courir.

    Le sang sur son visage coulait encore, elle l’essuyait – l’étalait plutôt– avec la main. Le ciel commençait à se couvrir, mais elle ne devait pas s’arrêter. Elle ne voulait pas perdre de vue l’étoile qu’elle suivait, pas maintenant. Elle se sentait mal, terrifiée par ce qu’elle venait de voir et soudain inquiète de se trouver là. Elle s’approchait de l’étoile, où l’étoile s’approchait d’elle, elle ne savait pas. Elle courait toujours, portée par une force phénoménale. Lorsqu’elle ne vit plus l’étoile, cachée par les épais nuages, les premières gouttes commencèrent à tomber. Sherockee dut s’arrêter. Elle se sentait épuisée maintenant, elle s’écroula au sol. Autour d’elle, la végétation était luxuriante, épaisse. Il y avait beaucoup de plantes tropicales, des hibiscus, des fougères géantes, mais, très étonnant, il y avait également des édelweiss, des perce-neige ou encore des gentianes et des orchidées. Sherockee regarda ce paysage très contrasté avant de se rendre compte qu’il pleuvait. Elle prit une feuille épaisse pour récolter l’eau et monta dans un arbre. Elle resta un moment le bras tendu avant de se verser l’eau sur elle. Elle répéta l’opération plusieurs fois afin d’être pratiquement propre. Ensuite, elle récolta encore un peu d’eau de pluie et descendit, en faisant attention à ne pas perdre trop d’eau. En bas, elle posa la feuille par terre et alla chercher quelques plantes. Elle les mit dans l’eau et remua un peu. Un petit oiseau se posa sur sa main et chanta un peu. Sherockee le regarda tendrement et lui caressa la tête. C’était un petit oiseau de la taille d’une mésange, aux plumes rouges, vertes, violettes, jaune et bleu. Sur la tête, il portait une petite tache blanche en forme d’étoile. Sherockee prit la feuille et bu quelques gorgées de son breuvage. Elle grimaça un peu, la boisson était très amère. Elle en donna une goutte à l’oiseau qui semblait apprécier. Ensuite, elle se leva et alla se mettre sous un arbre, à l’abri de la pluie. L’oiseau s’envola et alla se mettre sur une branche un peu plus loin. Sherockee s’installa confortablement et ferma les yeux. Le vent souffla, un éclair zébra le ciel. Puis, un grand silence. Pas de tonnerre, plus de vent.

     Sherockee rouvrit les yeux. Le paysage avait encore changé. Cette fois, il y avait un peu plus de dix centimètres de neige, mais les plantes tropicales étaient encore là. Sherockee se leva, émerveillée par ce paysage étonnant. Des fleurs et arbres tropicaux sous la neige : un paysage incroyable. Elle profitait du paysage, accompagnée par son ami l’oiseau. Elle marcha un peu mais s’arrêta au bout de quelques mètres. Une immense crevasse s’était formée tout autour de l’endroit où elle s’était installée. Un précipice d’une centaine de mètres se présentait devant elle. Une coulée de lave illuminait le fond, orangé et fluide. Sur l’autre côté, des rochers tranchants tendaient les bras. Sherockee devait passer de l’autre côté pour continuer vers l’étoile, mais elle ne savait pas trop comment. Elle pouvait sauter, mais si elle ratait le bord, elle tomberait en bas, ou resterait accrochée aux pierres. Elle aurait pu voler, mais elle se trouvait dépourvue de ses pouvoirs. Elle réfléchit encore, mais elle ne trouva aucune autre solution, surtout que cette crevasse faisait tout le tour, formant un îlot. Elle devait donc sauter.

    Il y avait à peu près cinq mètres entre le côté sur lequel elle se trouvait et l’autre. Cinq mètres. Cinq cents centimètres. Sherockee se recula, elle prit son élan et sauta, avec autant de force qu’elle le pouvait. Mais elle n’avait pas prévue que le bord de l’autre côté s’écroule subitement, juste devant elle, alors qu’elle se trouvait en l’air. Elle tomba, en essayant de se rattraper aux rochers. Elle avait les mains coupées de partout, mais elle avait réussi à se rattraper plusieurs mètres plus bas. Des rochers plus longs que les autres rentrèrent dans sa chair, mais cela ne la décourageait pas pour autant. Elle devait maintenant remonter, bravant les douleurs causées par les roches et le froid. Le vent s’engouffrait dans la crevasse, soulevant parfois même des gouttes de lave brûlantes. Sherockee montait doucement, s’agrippant tant bien que mal. Son souffle faisait un petit nuage blanc, qui remontait pour disparaitre. Sherockee arriva à une bonne hauteur. Elle était heureuse et redoublait d’effort. Elle entendit un bruit sourd venant du fond de la crevasse. Elle se tourna et vit la roche derrière elle se rapprocher dangereusement.

    – Oh non…

    Elle reprit son escalade, plus vite. Elle prenait encore soin de bien s’accrocher avant de continuer à monter, mais ne faisait plus autant attention. Elle faillit glisser plusieurs fois, mais se rattrapait à chaque fois. Elle sentait la pierre derrière son dos, mais elle essayait de ne pas paniquer. Elle réussit à se hisser à temps sur le haut, mais sa jambe resta un peu trop longtemps entre les deux côtés.

    Sherockee hurla de douleur. Les pierres tranchantes étaient rentrées dans sa jambe profondément ; Sherockee pensait même qu’il y en avait une qui lui avait transpercé l’os. Elle essaya de se dégager, mais la pierre, qui s’était ralentie et arrêtée, était très près du côté où était Sherockee. Elle cassa les pierres, les unes après les autres, pour se dégager. Elle réussit à se remonter après de nombreux efforts. Elle avait horriblement mal, mais elle se voulait rester calme. Elle se traina au sol dans la neige, pour arriver dans un petit coin au calme. Le petit oiseau qui l’avait suivi jusque-là alla se poser à côté d’elle et frotta sa petite tête contre sa main. Sherockee sourit et le caressa, mais la douleur la reprit. Elle retira les petits morceaux de pierre et prit un peu de neige pour nettoyer. Elle souffrait encore, mais dans le plus grand des silences. Elle se rapprocha d’un arbre, s’y appuya et se releva en serrant les dents. Elle marcha un peu, en s’appuyant toujours sur les arbres. Elle avait mal, mais ne voulait pas rester là une éternité. Elle avançait vers l’étoile, à un pas beaucoup plus lent, mais elle y allait. L’étoile semblait toujours plus proche, ce qui redonnait de l’espoir à Sherockee.

    Elle marcha pendant un long moment. Pendant très longtemps. Sherockee ne faisait plus attention à rien, elle marchait vers l’étoile et rien d’autre. Enfin, elle arriva devant un immense mur de pierre, du moins ses ruines ; elle s’écroula à terre. Elle n’en pouvait plus, elle avait utilisé toutes ces forces. Allongée au sol, elle vit l’étoile. Une étoile accrochée au haut du mur, ce haut mur de pierre. Une petite étoile d’or, une petite lumière dorée. Sherockee s’apaisa en la regardant. Elle finit par s’endormir, bercée par le doux souffle du vent entre les pierres.


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