• Le directeur tira la chaise et s’assit. Sherockee le regardait droit dans les yeux.

    – Bien, j’ai quelque chose à vous demander. Vous n’avez pas l’Alzheimer par hasard ?

    – Non pourquoi ? J’ai oublié quelque chose d’important ? Je continue à vous aider, ne vous inquiétez pas !

    – Non, ça je m’en fous un peu, maintenant. Mais il va falloir que vous oubliiez la discussion que nous avons eue.

    – Pourquoi ? J’en ai besoin pour…

    – Je sais bien ! Mais vous préférez oublier cette discussion ou mourir ?

    Sherockee avait l’air un peu énervée. Le directeur resta en arrêt quelques minutes. Finalement, il hocha la tête et soupira.

    – Comment vous compter faire ?

    – C’est mon problème. Mettez-vous bien dans le fond de votre fauteuil.

    – Trente secondes ! J’oublierai juste cette discussion, n’est-ce pas ? Je ne vais pas oublier autre chose, comme le nom de mes enfants ou de mon ex-femme ?

    – Je savais bien que vous l’aimiez encore ! Et ne vous inquiétez pas, normalement il n’y a pas trop de risque pour que ça arrive.

    – Comment ça « pas trop » ?

    Sherockee sourit et claqua des doigts. Un petit flash blanc jaillit, le directeur se trouva dans un état d’hypnose, à demi-conscient. Il glissa encore plus dans le fond de son fauteuil, aussi mou qu’un marshmallow. Sherockee ferma les yeux et frotta ses tempes du bout des doigts. Elle se concentrait pour remonter dans les souvenirs de Lukas, puisant sa force au plus profond d’elle. Elle rouvrit les yeux une minute après. Elle claqua une nouvelle fois des doigts et tomba dans le fauteuil.

    – Non, mais si j’oublie le nom de mes enfants et de ma femme, je vais vraiment avoir des problèmes !

    – Comment s’appellent-ils ?

    – Ils s’appellent Jason, Mike et Katia.

    – Bien, donc vous ne les avez pas oubliés !

    – C’est déjà fini ? Je ne me souviens même pas de ce que vous avez fait ! C’est fini ?

    – Oui, mais ça suffit largement ! Je suis crevée… Et puis je n’avais pas prévu de vous retirer tous vos souvenirs de votre petite tête !

    – Comment ça petite tête ?

    – Je rigole ! Un peu d’humour voyons ! Je peux dormir un peu ? Merci…

    Elle n’avait pas attendu la réponse, elle avait déjà fermé les yeux. Lukas soupira et se leva, pour ranger un peu. Il ouvrit tous les tiroirs et commença à y ranger des feuilles. Il prit le dossier que Sherockee avait négligemment posé par terre et le remit sur le bureau. Ensuite, il rangea les stylos qui trainaient, remit l’ordinateur à sa place et mit les boulettes de papier dans la corbeille. Le bureau avait l’air beaucoup plus propre, plus grand même.

    – Vous voyez, ce n’est pas si dur de ranger !

    Sherockee se leva et s’étira. Elle se frotta les yeux en baillant et fit le tour du bureau.

    – Dis-donc ! Je suis impressionnée ! Bien, maintenant, il faut que je vous parle de mon affaire, mais pour une fois, je préfère que ce soit devant une caméra, je n’ai pas envie de me répéter.

    – C’est le jour des miracles aujourd’hui ! Déjà je range mon bureau et ensuite, vous voulez aller dans une salle avec une caméra ?

    – Oui, je sais c’est bizarre, mais vraiment je n’ai pas envie de répéter les phrases que j’ai besoin de vous dire. Allez, on y va, je viens de me réveiller, je suis de bonne humeur ! Allons-y, compagnon !

    Le directeur suivit Sherockee qui était déjà partie en sautillant. Il ferma la porte à clé, devant le regard intrigué de son secrétaire. Il leva les épaules et se dirigea vers l’ascenseur. Sherockee était déjà descendu deux fois – par les escaliers bien sûr.

    – Bon, on se bouge un peu ! Du nerf, du nerf monsieur !

    Ils arrivèrent dans le couloir des salles d’interrogatoires. Sherockee en choisit une au hasard et alla s’installer sur la chaise en face de la caméra. Le directeur arriva un peu après ; il alla s’installer de l’autre côté de la table.

    – Bien, de quoi voulez-vous me parler ?

    – Je me suis rappelée de ce que j’avais fait le soir du meurtre.

    – Ah ! Excellente nouvelle !

    – Oui… Si on peut dire…

    – Alors, qu’avez-vous fait ?

    Sherockee prit une grande inspiration, comme si elle devait plonger dans une piscine et raconta tout ce qu’elle avait fait. Elle lui raconta tout, depuis l’arbre de Central Park jusqu’à la station de métro, en passant par le poignard derrière son dos et les coups de feu. Elle ne cita jamais le nom de Danam, elle ne cita pas non plus la disparition de celui-ci. En revanche, elle expliqua clairement pourquoi elle s’était trouvée sur le toit de l’immeuble. Lorsqu’elle s’arrêta, elle se mordit la lèvre et serra doucement les poings. Elle se murmura quelque chose et regarda fixement le directeur.

    – J’assume tout. C’est moi qui avais l’arme dans les mains. C’est moi qui les ai tués. Mais s’il vous plaît, je ne veux pas retourner en prison. Je ne veux pas faire encore du mal, et puis j’ai déjà causé assez de dégâts. S’il vous plaît, trouvez une autre solution.

    – Vous conviendrez que c’est un peu compliqué là…

    – Je sais, mais je suis sûre que vous pouvez trouver une autre façon de faire.

    Le directeur se leva et sortit. Sherockee resta dans la salle, immobile. Elle se leva enfin, et sortit. Elle alla au distributeur de boisson, se prit une bouteille d’eau qu’elle avala cul-sec. Elle jeta la bouteille vide dans la poubelle de l’autre côté de la salle, sans bouger. Un lancer parfait, qui en impressionna plus d’un. Elle ne fit même pas attention aux regards posés sur elle. Elle revint dans le couloir, puis finalement se dirigea vers la sortie. Le directeur revenait, accompagné d’un agent.

    – Sherockee ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous devez…

    – Non, je ne vais pas rester ici ! Si vous voulez me suivre, pas de problème, mais il est hors de question que je reste enfermée ici ! Et puis, j’ai des choses à faire !

    Sherockee n’attendit pas plus. Elle sortit du bâtiment en trottinant, suivit du directeur.

    – Vous feriez bien d’aller chercher votre voiture, je vais faire un grand tour… Je vous attends là si vous voulez !

    – Lorsque vous dites un « grand tour »…

    – C’est vraiment grand ! Grouillez-vous, sinon je pars sans vous !

    Sherockee croisa les bras et s’appuya sur le mur, en regardant le directeur s’éloigner. Elle n’attendit pas longtemps, mais déjà trop pour elle. Lukas ouvrit la fenêtre et se pencha au-dehors.

    – Vous voulez que…

    – Non merci, je préfère y aller à pieds !

    – Quand est-ce que vous me laissez…

    – Je ne sais pas, mais pas aujourd’hui, je n’ai pas envie que vous puissiez mettre des points !

    Elle lui tira la langue et s’éloigna en courant. Au début, elle courait assez lentement, histoire de se mettre en route. Ensuite, elle commença à accélérer, accélérer, jusqu’à arriver à une vitesse moyenne d’une voiture sur une nationale. Elle était heureuse de courir comme ça, elle prenait de l’assurance et oublia que le directeur la suivait. Elle se dirigeait vers le nord de la ville, vers Bronx. Elle courut encore un peu de temps, en ralentissant un peu pour que Lukas puisse voir où elle tournait. Enfin, elle s’arrêta dans une grande avenue. Elle tourna dans des ruelles et s’arrêta devant une maison ; elle regarda derrière elle. La voiture de Lukas arrivait dans la rue. Lorsque Lukas se gara, Sherockee sonna. Elle attendit un peu puis sonna une deuxième fois. Lukas ne sortit pas de la voiture, il observait Sherockee, pour voir ce qu’elle comptait faire. Un adolescent ouvrit la porte. Il était immense, posé sur de fines jambes qui laissaient penser qu’il faisait beaucoup de sport. Il portait un t-shirt à l’effigie des Yankees, sur lequel reposait une énorme chaine imitation or. Son jean troué était descendu sur l’arrière de son derrière, laissant apparaître un caleçon, représentant une bande dessinée. Il portait des lunettes de soleil, assez sombres pour cacher ses yeux, qui l’étaient déjà grâce à de longues mèches de cheveux qui n’avaient pas dû voir de shampoing depuis longtemps. Sherockee dévisagea le jeune homme, leva un sourcil et retira les lunettes.

    – Eh ! Rends-moi ça !

    – Désolée, mais j’aime bien voir les yeux de celui avec qui je parle ! Dis-moi, ta mère est là, ou il n’y a que toi et tes potes ?

    – Il n’y a que ma mère et moi dans la maison.

    – Arrête de mentir, le mec en dessous de la table ne doit pas être empaillé… Et celui derrière les rideaux qui se recoiffe toutes les deux secondes ne doit pas être un automate… Franchement, il va falloir refaire des parties des cache-cache plutôt que du poker !

    – Eh ! Mais comment tu sais…

    – Je peux voir ta mère s’il te plaît ? J’ai d’autres personnes à aller voir après…

    – Eh ! Mais je t’ai déjà vue ! Dans les journaux ! C’est pas toi qui as tué mon père ? Tu viens pour finir le boulot ?

    – On n’est pas dans des séries télévisée, mec ! Et puis, si je voulais “finir le boulot” comme tu dis, tu crois vraiment que je le ferai en plein jour, alors que le directeur du FBI me colle au cul ?

    – Le directeur du FBI ? Il est dans la voiture ? Trop cool ! Je vais lui demander un autographe !

    – Il n’en est pas question ! D’abord je vois ta mère, après tu peux faire ce que tu veux. S’il te plaît, maintenant.

    – Ok, Ok ! Maman !

    L’adolescent monta quelques marches et cria. Sherockee entendit une porte s’ouvrir.

    – Qu’est-ce qu’il y a ?

    – Il y a quelqu’un qui veut te voir ! Descend, s’te plaît ! Grouilles-toi !

    – Eh ! Comment tu parles à ta mère, toi ? demanda Sherockee, d’un air un peu sévère.

    – Oh ! Ce n’est rien, vous savez ce que c’est les garçons ! Il ne faut pas montrer qu’on est faible, surtout devant les potes !

    La mère arrivait tranquillement, dans les escaliers. Ses cheveux noir ébène cachaient une partie de son teint pâle, et elle portait des vêtements larges, très large, comme si elle avait quelque chose à cacher. Lorsque la femme arriva à la lumière, Sherockee comprit. Ses joues étaient creusées, son cou si fin que les muscles étaient visibles et ses clavicules ressortaient horriblement. Ses fines mains se prolongeaient par des doigts squelettiques. La maigreur de cette femme était saisissante ; Sherockee savait bien que la mort de son mari y était pour quelque chose. La femme leva les yeux vers Sherockee qui baissa les siens. D’abord, elle ne la reconnut pas. Mais lorsqu’elle comprit, son visage se crispa, son expression changea complètement.

    – Toi ? Qu’est-ce que tu viens faire ici, hein ? Tu viens pour essayer de…

    – Je viens pour vous dire la vérité.

    – La vérité ? Tu l’as tué, c’est ça ? J’ai raison, n’est-ce pas ? Tu l’as assassiné !

    – Oui, mais je ne le savais pas jusqu’il y a quelques heures.      

    Le visage de la femme était crispé de rage. Elle serra ses poings et voulut fermer violemment la porte, mais Sherockee la retint par le bras. Le directeur était prêt à intervenir, mais il vit soudain le visage de la jeune mère se détendre. Sherockee lui faisait voir la scène, mais seulement la lutte dans les escaliers, le poignard dans le dos et les coups de feu. Jamais le visage de Danam. Mais elle vit. Sherockee lâcha le bras de la jeune femme et fit demi-tour. La femme resta un moment sans bouger, avant de rappeler Sherockee.

    – Attendez ! Je… Je ne pensais pas… Que… Enfin…

    – C’est bon, ne vous fatiguez pas, je suis quand même coupable dans cette affaire ! Je tenais l’arme. Mais maintenant, vous savez la vérité.

    – Je suis désolée…

    – De quoi ? C’est moi qui suis désolée. C’est moi qui l’ai tué, pas vous !

    – Vous savez, faute avoué à moitié pardonnée…

    – Non, on ne peut pas me pardonner, pas après ça. Mais, s’il vous plaît, maintenant, il ne faut plus que vous vous laissiez aller ; il n’est plus là, mais votre fils a besoin de vous, au meilleur de vous-même. Et les gens autour de vous vous aiment aussi, ils ont besoin de vous, eux aussi.

    Sherockee regarda la jeune femme dans les yeux et se retourna. Elle alla jusqu’à la voiture noir garée en face et frappa sur le carreau. Le directeur descendit la vitre.

    – Je vous donne les prochaines destinations, vous avez le GPS. Ah ! Et si vous pouviez me gardez ça, ce serai sympa ! Merci !

    Sherockee lança ses chaussures et ses chaussettes sur la banquette arrière de la voiture et donna un papier au directeur. Ensuite, elle fit quelques foulées, mais finalement revint à la voiture.

    – Et bon courage avec les gamins !

    Sherockee rit et s’en alla en courant. Six adolescents en furie arrivaient déjà et entouraient la voiture du directeur, l’empêchant de partir. Lukas soupira et sortit de la voiture.


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  • Le temps passa, Sherockee toucha le sol. Le sable se souleva, le réconfort l’envahit. Elle n’avait pas connu cette sensation depuis longtemps, elle n’avait pas pris le temps. Cette fois, elle prit le temps de profiter. Sa main glissa le long de son ventre, puis arriva à l’étui qui contenait sa dague. Elle la prit, la fit tourner un peu entre ses doigts. Elle ouvrit les yeux, lentement, pour voir son arme. Elle était encore brillante, mais noircie par de petites nervures, grises, noires et rouges. Sherockee la rapprocha d’elle. Une idée lui traversa l’esprit, une mauvaise idée, mais qui la fit sourire. Elle prit la dague de ses deux mains et la rapprocha d’elle, plus précisément près de son cœur. Mais elle sentit une force qui l’en empêchait, une force qui formait comme un matelas impénétrable sur sa poitrine. Sherockee essayait de toutes ses forces de planter ce couteau dans son cœur, mais elle n’y arrivait pas. Elle sentit la rage monter en elle. Elle se redressa et sortit de l’eau, en y mettant toutes ses forces, puis elle s’arrêta brusquement, loin au-dessus de la mer. Elle était hors d’elle, elle voulut lancer la dague, mais elle ne le fit pas. Elle resta le bras en l’air quelques secondes, puis réalisa que son état ne servait à rien. Alors, elle rangea sa dague dans son étui et se mit à voler. Elle vola vers l’est. Elle traversa le nord de l’Afrique ; quelques heures plus tard, elle passait l’Arabie Saoudite et enfin l’Inde. Elle descendit un peu lorsqu’elle franchit le Népal pour enfin atterrir sur l’Everest. Elle était seule, il faisait nuit. Elle était sur le toit du monde, isolée, debout sur cette montagne de 8 848 mètres d’altitude. Elle sentit sa respiration s’accélérer, son cœur s’emballer encore. Sa colère remontait.

    – Pourquoi ? Dis-moi ! Pourquoi ne veux-tu pas que je le fasse ? Pourquoi ne me laisses-tu pas choisir ? Je ne veux plus être ainsi, je ne supporte plus l’idée que tu ne veuilles pas ! J’ai failli tuer un homme ! J’en ai même peut-être tué quatre autres ! Alors ? Pourquoi ne veux-tu pas ? Laisse-moi mourir ! Laisse-moi mourir…

    Sherockee sanglota. Elle tomba à genoux. Ses cris avaient créé des échos, provoquant une coulée de neige sur le flanc de la montagne. Elle pleura pendant de longues minutes, puis replia ses ailes dans son dos.

    – Tu aurais dû venir me voir plus tôt, dit une voix grave et douce derrière elle.

    Sherockee ne se retourna pas. Elle soupira, passa ses mains sur son visage et sécha ses larmes. Elle mit ses ailes autour d’elle, comme une carapace qui la protégeait.

    – Je pensais y arriver seule, je n’imaginais pas que c’était aussi grave. J’aurai voulu trouver une autre solution, je ne voulais pas passer par ça. Rien ne serait arrivé si…

    – On referait le monde avec des si. Cette phrase ne devrai pas être prononcé, pas par toi. Tu as fait beaucoup de choses, beaucoup. Tu n’es pas parfaite, mais personne ne l’est. Tu ne dois pas t’en vouloir ainsi.

    – Mais je n’ai rien fait de bien ces derniers temps ! Je ne me contrôle plus, j’ai l’impression de ne plus savoir qui je suis ! Je ne veux plus être comme ça, je ne veux plus avoir à me supporter ainsi ! Je sais que je ne peux pas être parfaite, mais je…

    Elle sentait les sanglots monter dans sa gorge. Elle se sentait dépourvue de toute force, elle ne pouvait plus bouger. Elle sentit tout à coup la morsure du froid sur sa peau, un froid inquiétant qu’elle n’avait jamais ressenti.

    – Pourquoi te noies-tu dans cette souffrance ? Laisse-moi faire, tu verras.

    La voix semblait s’être rapprochée. Une intense lumière enveloppa Sherockee, une lumière merveilleusement douce, rassurante. Moins forte que celle que produit l’électricité, peut-être un peu comme celle des flammes. Sherockee ferma les yeux. Elle se laissa porter, elle se sentait comme sur un matelas de coton. Elle sentait son cœur battre dans sa poitrine, elle entendait sa respiration qui s’était ralentie et elle sentait la douceur qui l’entourait. Elle ne pensait plus à rien, elle ne voulait plus penser. Un long moment passa, elle réussit à retrouver une certaine sérénité qu’elle n’avait plus ressentie depuis longtemps. Enfin, elle rouvrit légèrement les yeux.

    – Te rappelles-tu de ce que tu dis souvent aux humains et aux autres peuples ?

    – Pourquoi ne voulez-vous jamais me croire ?

    – Non, pas ça. Rappelles-toi lorsque tu étais chez ce Lukas Mullins. Tu lui as parlé dans la cuisine, n’est-ce pas ?

    – Oui… Nous avons parlé de ce que les humains font… On a parlé des croyances.

    – Bien. Quelle phrase dis-tu souvent à propos de cela ?

    – Rien n’est impossible tant qu’il y a la croyance… Mais où est-ce que ça nous mène ?

    – Sherockee, la seule chose qui fait battre notre cœur, nous, peuples que tu as créés, ce sont les croyances qui nous animent. La croyance de pouvoir vivre dans un monde meilleur, de pouvoir se surpasser, ou de pouvoir accéder au savoir, à l’amour, à la richesse, à la reconnaissance… Si quelqu’un ne croit plus, il se laisse aller et les autres peuvent alors choisir à leur place. Mais c’est toi qui as créé les peuples, c’est grâce à toi que la vie existe.

    – Donc, il faudrait qu’ils croient plus en moi ?

    – Non. C’est toi qui nous as créé Sherockee, nous sommes comme toi.

    Sherockee ferma les yeux et réfléchit longuement. Enfin elle ouvrit légèrement ses lèvres.

    – Il faut que je croie plus en moi…

    Elle sentit son cœur se serrer. Sa respiration et les battements de son cœur s’accélérèrent, même si elle essayait de rester calme. Elle ne voulait plus s’énerver. Elle réussit à se contenir, puis finalement à retrouver la sérénité. Elle rouvrit les yeux, la lumière l’entourait toujours.

    – Il faut que je croie plus en moi, répéta-t-elle. Maintenant, je vais croire plus en moi.

    Cette phrase, Sherockee ne l’avait plus prononcée depuis longtemps. Elle se la répéta longuement dans sa tête. Son corps tout entier fut parcouru d’une sensation de bien-être. Elle sentit un vent doux souffler à l’intérieur d’elle-même. Un vent qui la délivra de beaucoup de questions, de beaucoup de doutes. Le vent balaya aussi un voile qui avait été posé sur une journée de septembre…

    « J’étais allongée sur une branche dans un arbre de Central Park, réfléchissant au moyen de récupérer ma dague. J’étais seule dans mon arbre – heureusement. Quelques écureuils sautaient dans mon arbre, me saluaient et repartaient aussitôt. Il faisait très nuageux, mais il ne pleuvait pas encore. Le temps passait comme ça. Je n’ai pas trouvé de solution, alors, au bout d’une heure, je suis descendue. Je me suis baladée dans New York, sans réfléchir où j’allais. Je me suis retrouvé devant une grande grille de métal rouge, l’entrée d’un parking menant à un immeuble, un peu plus loin. J’ai continué, j’allais vers Newark, idée de me changer un peu. Soudain, je ne sais trop pourquoi, je sentis l’envie irrépressible de revenir. Revenir vers quelque chose, quelqu’un. J’ai voulu lutter, mais c’était plus fort que moi, je revenais. Il commençait à faire sombre, et il pleuvait. J’ai fini par me laisser aller ; une force plus forte que moi voulait que j’aille quelque part, à quoi bon lutter ? Je suis revenue devant cette grande grille rouge. Elle était fermée d’un cadenas, mais je l’ai escaladé et je suis passée dans le parking. Il faisait déjà presque nuit, le parking était dépourvu de lumière, mais ça ne me gêne pas, je peux assez bien voir dans le noir. J’ai monté les escaliers, lentement. Il n’y avait pas un bruit, comme si l’immeuble était désert. Ce n’était pas le cas, mais presque. Pas un bruit, comme si les gens étaient partis. Je commençais à m’inquiéter, j’ai recommencé à lutter. Mais j’étais encore une marionnette et mon marionnettiste continuait à me faire avancer. Je luttais de toutes mes forces, mais je m’épuisais pour rien. J’ai fini par arriver sur le toit de l’immeuble. Là, j’ai enfin pu contrôler mes gestes. J’ai fait demi-tour précipitamment, mais une voix m’a rappelée. Cette voix que je connais trop bien. Qui me donne des frissons. La voix de Danam. Je me suis arrêtée et me suis retournée. Il était là, sur le muret au bord du toit, tranquillement. Il me regardait, avec un sourire qui ne laissait présager rien de bon. Il est descendu du muret et s’est avancé. J’ai reculé et j’ai touché la porte. Il s’est arrêté et a rigolé.

    – Pourquoi as-tu peur comme ça ?

    – A ton avis ?

    – Peut-être parce que j’ai quelque chose qui t’appartiens… Oui peut-être ! Mais tu sais, je pense que la peur va te faire faire beaucoup de bêtises… »

    Sherockee rouvrit les yeux. Elle était heureuse de savoir ce qu’elle avait fait le soir du meurtre, mais inquiète de la suite. Elle se trouvait avec Danam, sur le toit. La phrase que Danam avait dite, Sherockee savait que ce n’était pas pour rien.

    – Sherockee, tu voulais savoir, maintenant, il faut que tu ailles jusqu’au bout.

    Elle respira longuement et referma les yeux. Elle se détendit, relâchant tous ses muscles.

    « J’étais debout, derrière le muret. Je tremblais de tout mon corps, mais pas parce que j’avais froid, pas parce que j’étais trempée jusqu’aux os. Non, je tremblais à cause de ce que je tenais entre les mains et de ce qui étais derrière mon dos, prêt à s’enfoncer. Je tenais l’arme à feu qui a tué les quatre hommes ce soir-là. Danam tenait ma dague dans mon dos, au niveau du cœur. Je tremblais de tout mon corps. Alors, Danam a rangé la dague, il s’est collé contre moi et a remonté ses mains sur mes bras, jusqu’à arriver à mes mains. Ensuite, j’ai fermé les yeux. Je n’avais qu’une envie. M’enfuir, partir loin. Mais j’étais bloqué, et j’avais peur. C’est lui qui a visé et qui a appuyé sur mes doigts qui se trouvaient sur la détente. J’ai entendu les coups de feu, mais je n’ai rien fait. Je ne bougeais plus. J’étais comme paralysé, incapable du moindre mouvement. Lorsque j’ai rouvert les yeux, j’étais adossée au muret, Danam était à côté de moi. Il m’a regardé avec un regard… Un regard qui n’était pas froid, non. Presque rassurant, chaleureux. Tout le monde à une partie bien cachée en lui, son petit monde secret. Ce jour-là, je suis entrée dans celui de Danam. Il s’est approché de moi, il m’a embrassé sur le front et a disparu. Je me suis relevé, je n’ai pas fait attention à ce qui m’entourais et je suis descendue. J’avais déjà oublié ce qui s’était passé juste avant. J’ai descendu les escaliers rapidement, je suis passé par le parking et je suis sortie. Des voitures de police arrivaient de l’autre côté du bâtiment. »

    Sherockee ouvrit les yeux. Des larmes coulaient le long de ses joues, mais elle se sentait comme libérée du poids qui pesait sur elle depuis des mois. Elle se redressa, sécha ses larmes et regarda autour d’elle. Elle se trouvait dans Brooklyn, cachée derrière une énorme voiture abandonné, dans un entrepôt. Elle se leva et marcha en direction de la sortie. Malheureusement, elle ne la trouva pas. Alors, elle escalada les grilles, faute de porte. Elle arriva dans la rue, s’étira et regarda ses habits. Elle était vêtue de nouveaux vêtements, un débardeur recouvert d’un sweat sombre à capuche, d’un jean et de baskets confortable. Pour une fois, elle garda les chaussures. Elle marcha un peu, mais une voix l’appela. Elle se retourna et évita de justesse le poing de Danam. Il était hors de lui, mais Sherockee était complètement calme. Il essaya de la frapper plusieurs fois, mais elle esquivait ses coups avec une grande agilité et finit par l’immobiliser contre un mur.

    – Tu as fini oui ? C’est bon, j’en ai marre de servir de piñata ! Tu ne peux pas faire autrement pour une fois, non ? Ecoutes, je te lâche, tu ne me frappes pas, on discute tranquillement et tout ira bien, ok ?

    Danam grogna quelque chose d’incompréhensible, Sherockee le lâcha. Elle savait ce qu’il voulait. Il voulait venger Codven. Et elle savait qu’elle n’avait pas fait les choses à moitié. Elle avait profondément planté sa dague dans l’épaule de Codven avant de la retirer précipitamment. Cela avait certainement arraché des muscles, et peut-être même avait-elle touché les os. Elle se tourna vers Danam, mais son regard fuyait.

    – Je suis désolée, je ne voulais pas lui faire de mal, mais je n’arrivais plus à me contrôler. J’étais hors de moi !

    – Oui, je l’ai bien vu !

    – Il est encore à l’hôpital ?

    – Pourquoi ?

    – Je veux bien le soigner. Et puis te soigner aussi !

    – J’en ai pas besoin ! Lui non plus !

    – Ah ! Danam… Quand donc t’arrêteras-tu de te croire invulnérable ? Tu sais que si tu gardes trop longtemps les blessures, elles finissent par ne plus disparaître ? Puis, si ton dos reste comme ça, tu vas finir aussi voûté qu’un croissant ! Et, si Codven garde sa blessure, je pense que le tir à l’arc va être beaucoup plus compliqué pour lui… Allez, laisse-moi faire !

    – Et qu’est-ce que tu veux en échange ?

    – Eh ! Je ne suis pas comme toi je te signale ! Je ne veux rien, je n’ai besoin de rien. On y va ? J’ai besoin de marcher un peu…

    – Marche alors ! Moi j’y vais par mes propres moyens.

    Danam disparu soudain dans une épaisse fumée. Sherockee sourit et se mit en marche. Elle avait tout le quartier de Brooklyn à traverser, en espérant ne pas se faire arrêter par un policier ou quelqu’un d’autre. Elle fit le quartier en courant, avec une bonne foulée, mais pas trop rapide non plus. Lorsqu’elle arriva dans Manhattan, elle ralentit et marcha, toujours à un rythme assez soutenu. Elle arriva à l’hôpital, entra et monta. Une infirmière la vit passer et lui demanda de descendre, mais Sherockee continuait son chemin sans se préoccuper d’elle. Enfin, elle rentra dans une chambre, sans frapper bien entendu. Elle vit Grégoire, avachi dans la chaise, le regard posé sur Codven, torse nu, qui semblait en train de se reposer, sur le lit. Il avait un bandage à l’épaule, couvert de sang. La blessure n’avait pas encore cicatrisée. Danam était sur le bord de la fenêtre, les yeux rivés sur Sherockee, qui rentrait tranquillement.

    – Bien, déjà vous ne vous êtes pas égorgés, vous êtes tous toujours entiers ! C’est bien les mecs, vous vous améliorez ! Je suis impressionnée !

    – Tais-toi Sherockee ! râla Grégoire.

    – Pour une fois, je vais être d’accord avec quelqu’un, dit Codven sans ouvrir les yeux. Tais-toi !

    – Bien, bien ! Comme vous voudrez ! Si on ne peut plus faire de compliment maintenant… Bon, par qui je commence ? Codven ou Danam ? Vous voulez qu’on tire à la courte paille ?

    – De quoi tu parles ?

    – Danam ne t’as pas expliqué ? Je vais te soigner, comme ça tu pourras continuer à me tirer dessus avec ton arc ! Et puis, je vais éviter à Danam de finir avec un dos en forme de croissant de lune…

    – J’en ai pas besoin ! Je vais très bien ! s’exclama Codven en rouvrant les yeux.

    – Oh, s’il te plaît… Tu peux à peine bouger l’épaule ! Si tu laisses comme ça, tu vas finir par… Je ne préfère même pas te le dire ! Allez, je ne vais pas te bouffer ! T’inquiètes, ça ne te fera que tu bien, enfin si je ne rate pas mon coup…

    Sherockee rit et s’approcha du lit. Elle s’assit sur le bord du matelas et approcha la main de l’épaule de Codven, qui la retint fermement.

    – Je te défends de me toucher !

    – C’est bon Codven, laisse-la faire, intervint Danam.

    Il avait un regard qui laissait voir qu’il ne voulait plus rien savoir. Sherockee regarda Codven d’un air amusé, en se pinçant la lèvre, toute souriante. Elle se rapprocha de lui et défit lentement le bandage. Il ne réagit pas, mais elle savait qu’il avait mal et qu’il était vexé. Sherockee lança le bandage dans la poubelle, par-dessus son épaule. Elle jeta un regard rapide vers le visage de son “patient” avant de poser ses mains sur la blessure. Elle commença à parler dans cette langue inconnue, les yeux fermés. Bizarrement, Danam semblait murmurer la même chose que Sherockee. Celle-ci s’arrêta lorsque la blessure fut complètement refermée. Elle se leva du lit.

    – Bien, voilà qui est mieux ! À ton tour Danam !

    – Non ! Je vais très bien !

    – Arrête un peu ! Si tu allais vraiment bien, tout à l’heure tu aurais pu me frapper sans problème ! Mais là, on aurait dit une vraie limace, ou quelqu’un qui a la colonne vertébrale en vrac… Allez, laisse-moi faire ! J’ai juste quelques vertèbres à remettre en place et deux trois muscles à débloquer. Ce ne sera pas long et après, tu seras comme un petit jeune !

    Elle se rapprocha encore de Danam. Il soupira, descendit du bord de la fenêtre et s’assit par terre.

    – Très bien, il va falloir que tu t’allonges, mais avant tu me retires ce t-shirt !

    – Il en est hors de question !

    – Mais qu’est-ce que vous avez les mecs ? C’est bon, j’en ai vu d’autre torse nu, même un peu plus ! Et puis, si tu veux mon avis, j’ai vu Codven sans haut, alors pour que vous soyez quitte… Si tu veux, après, on pourra demander à Grégoire de faire pareil…

    – Ne me mets même pas dans cette histoire !

    – Allez Danam ! T’inquiètes, promis ça ne dure pas longtemps !

    Sherockee croisa les bras et inclina la tête. Danam soupira et retira son t-shirt, puis s’allongea par terre. Sherockee s’assit à côté de lui, remonta ses manches et laissa glisser ses mains lentement sur sa colonne. Ensuite, elle revint au milieu du dos et d’un geste rapide et précis, elle remit des vertèbres à leur place. Enfin, elle remonta ses mains sous les omoplates et en fit de même pour débloquer les muscles.

    – Tu vois, c’était pas si horrible ! Relève-toi pour voir.

    Danam remit son t-shirt et se leva. Sherockee semblait satisfaite, elle se leva aussi. Danam se dirigeait déjà vers la porte.

    – Ah ! Encore une chose… Si vous pouviez faire quelque chose, enfin ne pas le faire…

    – Je savais bien que tu voulais quelque chose en échange.

    – En échange ? Si tu veux, considères ça comme un échange. Mais si c’était un véritable échange, il faudrait que je fasse un peu plus…

    – Qu’est-ce que tu veux ?

    – Que vous ne tuiez pas Lukas.

    Le visage de Danam se crispa. Il remonta ses yeux vers ceux de Sherockee et se rapprocha d’elle.

    – Sherockee, il faut qu’on le fasse, que tu le veuille ou non. Je te dirai bien de le faire toi-même, mais tu n’en es pas capable.

    – Mais pourquoi ? Pourquoi les humains ne peuvent pas savoir ? La majorité des autres peuples savent beaucoup de choses, mais pas les humains ! Pourquoi ?

    – Les humains forment un troupeau débile. Parle d’une mine d’or à l’un, tous les autres iront la chercher ! Décris une rivière de diamant à un tel, tous voudront la trouver ! Parle de l’autre côté à ce mec, tous chercherons ! Et puis, lorsqu’ils trouvent, tout leur appartient ! Ils détruisent, ravagent et s’installent définitivement ! Regarde ce qu’ils ont fait de la Terre !

    – Et alors ? Ils n’ont jamais vu l’autre côté et ils ne savent même pas où il se trouve ! Et ils ne peuvent pas y rentrer. Tu le sais, même toi tu ne peux pas ! Alors, pour une fois, on ne pourrait pas leur laisser une chance de comprendre ?

    – Mais on leur en a déjà laissé une ! cria Danam.

    Sherockee fit un pas en arrière. Danam baissa la tête et serra les poings. Grégoire et Codven ne disait rien, ils ne préféraient pas s’introduire dans cette discussion. Sherockee fixa Danam, son regard s’était encore intensifié.

    – Comment ça ? Ils n’ont jamais rien su, en tout cas sur la magie.

    – Si, une fois, une seule. On y va Codven.

    – Non ! Pas tant que tu ne m’as pas expliqué !

    Sherockee barra la route à Danam. Codven avait déjà disparu, il s’était glissé par la fenêtre ; Grégoire en fit de même. Les deux autres restèrent dans la chambre d’hôpital, face à face.

    – Explique-moi Danam !

    – Non, tu n’es pas prête.

    – Pas prête à quoi ? À entendre la vérité ? Figures-toi que je cherche la vérité justement ! Je cherche la vérité sur moi, la vérité sur mes origines, sur ce que j’ai créé, comment et pourquoi je l’ai créé ! Ne me fermes pas les portes comme ça, j’ai besoin de savoir !

    – Ce n’est pas moi qui ferme les portes.

    Danam semblait troublé, mais Sherockee continuait à insister du regard. Elle se rapprocha encore de lui.

    – S’il te plaît, si tu ne veux pas m’expliquer, au moins laisses-le en vie.

    Elle fixait encore les yeux bruns rougeâtre de Danam, qui s’était reculé. Son regard fuyait, il avait la tête basse.

    – Très bien, mais alors supprime de sa mémoire cette discussion. Toute la discussion. Ça vaut mieux pour nous tous.

    Sherockee voulut rajouter quelque chose, mais Danam avait déjà disparu. Une infirmière rentra dans la chambre et regarda Sherockee avec des yeux ronds.

    – Où est le patient ?

    – Il… Il est… Parti !

    – Quoi ? Mais il est inconscient ou quoi ? Il avait une entaille sur l’épaule aussi profonde qu’une lame entière de couteau et…

    – Oui… Mais… Mais… Il allait mieux ! Désolée, il faut que j’y aille !

    Sherockee sortit vite de la chambre avant que l’infirmière ne lui pose d’autres questions. Elle sortit du bâtiment et se dirigea vers Central Park. Elle fit un tour, en réfléchissant. Au bout d’une heure environ, elle s’arrêta, puis retourna sur ses pas et se dirigea vers le bureau du FBI. Cette fois, les agents à l’entrée n’essayèrent ni de tirer, ni de lui mettre des menottes (ils en avaient déjà perdu assez) ; elle rentra et se dirigea vers les escaliers. Elle vit beaucoup de regards posés sur elle, mais pour une fois, elle n’y fit pas attention. Elle monta rapidement les escaliers, arriva au dernier étage et finalement, redescendit de deux étages, fit trois couloirs, prit des escaliers et reprit encore des couloirs avant enfin de trouver le “nouveau” bureau du directeur. Elle arriva dans une petite pièce, dans laquelle le secrétaire frappait à l’ordinateur.

    – Bonjour ! Il est là Lukas ?

    – Le directeur ? Non, désolé, il est descendu il y a environ un quart d’heure. Vous voulez l’attendre ici ou…

    Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que Sherockee avait déjà fermé la porte et était repartie. Elle prit les escaliers, les descendit et arriva dans les longs couloirs des salles d’interrogatoire. Elle ouvrit une première porte, mais la salle était vide. Elle ferma la porte et en ouvrit une deuxième. Cette fois, il y avait un interrogatoire en cours. Sherockee passa la tête, ronchonna et claqua la porte. Elle ouvrit une troisième, puis une quatrième. Ce n’est qu’à la sixième qu’elle vit le directeur, assit sur une chaise, en train de siroter son café, dans la salle d’observatoire.

    – Ah ! Enfin je vous trouve ! Venez, je dois vous parler ! Et dépêchez-vous un peu, je n’ai pas que ça à faire !

    Le directeur prit son gobelet de café et arriva vers Sherockee, qui l’entraina vers les escaliers.

    – Il y a un ascenseur, vous savez ?

    – Oui, mais un peu de sport ne vous fera pas de mal ! Regardez-moi ce bidon ! On dirait un tonneau ! Et puis, comme ça, vous irez plus vite si jamais vous avez à courir avec votre jambe !

    Le directeur regardait son ventre en montant les escaliers. Il se trouvait plutôt bien, il faisait du sport tous les week-ends et faisait toujours attention à son alimentation. Sherockee lui jetait des coups d’œil par-dessus son épaule. Bien sûr, elle avait dit n’importe quoi. Mais c’était plus fort qu’elle, il fallait toujours qu’elle trouve un moyen d’embêter quelqu’un. Ils arrivèrent devant la porte du bureau de substitution du directeur – après que celui-ci eut fait de grands efforts pour se hisser jusqu’en haut des escaliers. Sherockee entra sans frapper et se dirigea tout droit vers la porte.

    – Attendez, je vous ouvre…

    Mais elle était déjà entrée. Elle avait déverrouillé la porte sans les clés. Elle alla s’asseoir sur le fauteuil derrière le bureau, la place qu’avait l’habitude d’occuper le directeur. Elle poussa des feuilles sur les côtés, mit un dossier par terre et croisa les bras sur le bureau.

    – C’est ma place d’habitude…

    – Rien à faire. Asseyez-vous de l’autre côté, il y a de la place ! Ne faites pas cette tête-là, je suis sûre que la chaise de l’autre côté du bureau est aussi bien que le fauteuil !


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