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    Aéroport d’Arlit

    Lorsque l’hélicoptère se posa, Sherockee se releva. Elle avait du mal à tenir debout à cause de sa jambe. Diego ouvrit la porte, tout le monde descendit, sauf Sherockee. Elle prit Diego par les épaules, et commença à lui parler, mais elle lui murmurait à l’oreille, empêchant les autres d’entendre leur conversation. Tous attendaient sur le tarmac. Sherockee descendit avec l’aide de Diego. Tout le monde le regardait, sans rien dire. Alors, il regarda gravement l’équipe. Il voulait parler, mais ses mots restaient bloqués dans sa gorge. Personne n’avait la force de parler. Alors, c’est Sherockee qui prit la parole.

    – Je sais combien vous aimiez Dimitri, je sais qu’il vous aimait aussi. Juste pour lui, je vais rentrer en Amérique, mais je veux que vous veniez aussi. J’irai parler à sa mère. Je ne veux pas qu’elle l’apprenne par la télévision ou autre. Je sais qu’ils me mettront en prison après m’avoir trouvée, mais je veux aller la voir. Vous viendrez avec moi ?

    Ils se regardèrent tous. Tout le monde hocha de la tête. Sandra regarda l’hélicoptère. Les larmes coulaient sur sa joue. Morgan la prit dans ses bras, et lui caressa les cheveux. Entre deux sanglots, elle releva la tête.

    – Pourquoi fais-tu le sacrifice d’aller là-bas ? Tu sais très bien quel sera ton sort, alors, pour quoi veux-tu y aller ? Juste pour aller parler à sa mère ?

    – Aussi parce que Dimitri était le seul à penser que j’étais innocente, le seul policier à qui je pouvais faire confiance.

    Tout le monde savait pour l’affaire. Tout le monde savait qu’elle risquait la peine de mort. Mais malgré cela, elle voulait quand même retourner aux Etats-Unis. Sandra ne comprenait pas. Comment faisait-elle ? Quelle était la force qui lui permettait de ne pas avoir peur, de ne pas craindre d’aller se jeter dans la gueule du loup ? Elles se regardaient, les yeux de Sherockee étaient profonds, mais son regard très doux, les yeux de Sandra remplient de larmes et son regard fatigués. Sherockee se rapprocha de Jonathan et s'accrocha à son épaule. Il passa sa main sur ses hanches. Un beau couple. Sandra baissa la tête. Les larmes recommençaient à couler le long de ses joues. Diego demanda tout doucement à Charly s'il voulait bien l'aider à descendre le corps de Dimitri. Ils prirent une civière et un drap blanc. Ils le descendirent avec précaution. Morgan prit son téléphone et composa le numéro de Nelson. Au bout de quinze minutes de conversation, Morgan raccrocha.

    On prend le jet demain, à neuf heures.

    Personne ne répondit, personne ne pouvait parler. Diego proposa de se charger du corps de Dimitri ; et si quelqu’un le voulais, il pouvait héberger une personne chez lui. Morgan lui dit que c'était gentil, mais qu'ils allaient dormir à l'hôtel. Ils raccompagnèrent Diego jusqu'à sa voiture et partirent vers l'hôtel. Arrivés à la réception, Morgan se souvint que Charly et lui ne parlaient pas français. Il demanda à Jonathan et Sherockee s'ils savaient parler français, Sandra n'arrivant pas à parler dans son état. Sherockee lui dit qu'il n'y avait pas problème. Elle discuta avec la réceptionniste dans un français impeccable, et tendit à Charly la carte pour ouvrir deux chambres, celle de Sandra et la sienne. Il partit tout de suite après vers l'ascenseur, Sandra sous son bras. Ensuite, Sherockee tendit à Morgan sa carte et prit celle pour elle et Jonathan. Hors de question de sortir dehors, et personne n’avait faim. Morgan était fatigué, il salua Jonathan et Sherockee et prit l’ascenseur. Sherockee regarda Jonathan et lui proposa de monter. Ils montèrent par les escaliers, l’ascenseur venait d’arriver au quatrième étage, et le temps qu’il redescende, de bonnes minutes se seraient écoulées. Sherockee avait du mal à monter, mais elle était comme libérée. Elle pouvait à nouveau marcher, à nouveau aller où elle le voulait. Les escaliers n’étaient pas très longs.  Arrivé devant la porte de leur chambre, Sherockee marqua une pose, pour reprendre son souffle. Ensuite, elle prit la carte et la passa. Ils rentrèrent dans la chambre. Jonathan prit Sherockee par les hanches et l’embrassa. Sherockee releva la tête et regarda Jonathan. Les larmes étaient montées, fonçant ses yeux.

    Sherockee… Ne t’inquiète pas, tu ne peux pas tout faire non plus. Tu en as déjà fait beaucoup aujourd’hui. Il ne faut pas que tu prennes tout sur toi. Tu ne peux pas les gérer, tu ne contrôle pas le noir. Calmes-toi, je suis là pour toi, je ne veux pas te voir comme ça.

    Jonathan, je n’ai pas réussi à me concentrer ! J’aurai pu le faire revivre ! Mais moi, comme une conne, je ne suis pas foutue de contrôler mes pouvoirs ! Je ne suis pas la créatrice de l’Univers, mais la créatrice de la débilité !

    Sherockee avait crié toutes ces phrases, sortit du fond d’elle-même. Elle avait besoin de se confier et de s’abandonner à quelqu’un. Ce qu’elle avait vécu était horrible, même pour quelqu’un a un moral d’acier. Sherockee ne tenait plus sur ses jambes. Jonathan l’assit sur le lit, et la prit dans ses bras. Elle pleurait, il écoutait chaque sanglot. Au bout de quelques minutes, elle réussit à se calmer, et finit par s’endormir sur l’épaule de Jonathan.  Il la prit doucement et l’allongea sur le lit. Il s’installa à côté d’elle, elle se colla à lui. Elle avait besoin de sentir son odeur, de sentir sa peau, de se sentir protégée. Le temps passa, ils étaient tous les deux, Jonathan ne voulait pas bouger, de peur de la réveiller.

     Lorsqu’elle rouvrit les yeux, il était environ vingt heures. Elle se redressa, frotta ses yeux. Jonathan aussi s’était endormit. Elle se leva du lit en faisant attention à ne pas tomber, s’étira et regarda par la fenêtre. La nuit arrivait petit à petit, le soleil avait déjà presque disparu. Quelques nuages rajoutaient de la douceur dans l’homogénéité du ciel. Elle sentit une main sur ses hanches. Elle se retourna en sursaut, failli tomber mais Jonathan la rattrapa.

    Tu es devenue vraiment peureuse !

    Désolée Jonathan, mais lorsqu’une main me touchait, ça n’était pas pour me faire du bien.

    Oui, je comprends. On va manger ?

    Ils partirent tous les deux, Jonathan aidant Sherockee à tenir sur ses jambes. Arrivés en bas, ils virent Morgan et Charly, assit au bar, tous les deux devant un verre de bière. Ils les rejoignirent. Les cernes sous leurs yeux laissaient comprendre qu’ils n’avaient pas réussi à se reposer. Lorsqu’ils virent le couple, leurs visages s’illuminèrent un peu.

    Ça fait plaisir de vous voir tous les deux, commença Morgan avec un léger sourire. On a toujours du soleil derrière les nuages, n’est-ce pas ?

    Je suis désolée… Je n’ai fait que de vous attirer des ennuis, je…

    Charly mit son doigt sur la bouche de Sherockee. Il la regarda, amusé. Un regard qui était vraiment rassurant, qui lui éclaircissait le visage. Il retira son doigt.

    Pourquoi prenez-vous tout sur votre compte ? Vous êtes autant responsable que nous. Cette mission a été une réussite sur le point où l’on vous a ramené. Pour le reste, peut-être que ça aurait pu être mieux, mais aussi peut-être que ça aurait pu être pire. Alors arrêtez de tout prendre sur vous ! Vous n’y êtes pour rien ! Ceux qui l’ont tué ne sont pas revenus parce que vous les avez prévenus ! Et essuyez moi ces larmes, ça gâche la beauté de vos yeux !

    Cette dernière phrase fit sourire Sherockee. Jonathan la prit par la main. Charly lui fit un grand sourire, avant de se lever et de montrer la salle de restaurant. Morgan se leva aussi et prit Charly sous l’épaule. Ils se dirigèrent tous vers la salle. Ils demandèrent une table pour cinq, si jamais Sandra se réveillait, trouvait la force pour se lever et arrivait pour manger un morceau. Ils s’assirent à une table près de la fontaine qui trônait au milieu de la salle. Ils ne l’avaient pas vue la première fois, ils étaient trop fatigués par le voyage. Mais cette fois, ils purent profiter pleinement de la beauté de la salle. Il y avait beaucoup de bouquets sur les tables, et des pots accrochés au mur plein de lierre. Les photophores étaient découpés très finement. La fontaine était constituée de multiples pierres, mais toutes ensembles, elles formaient un ensemble agréable. L’endroit était très gracieux.

    Un serveur arriva et leur proposa les cartes. Morgan prit la carte des vins, mais Charly la lui arrachait des mains. Ils commandèrent tous sauf Sherockee. Elle regardait ses mains et semblait murmurer à quelqu’un d’imaginaire. Son regard semblait perdu dans un monde lointain. Elle ne prit rien, sauf un verre d’eau, auquel elle ne toucha pas. Morgan voulut lui parler, lui demander ce qu’elle faisait, mais Jonathan lui dit que ça n’était pas la peine de lui parler, qu’elle ne répondrait pas. Morgan fit son air étonné, mais ne s’en préoccupa plus. Il lui adressait quand même parfois quelques regards. Le repas fut très agréable, Jonathan et Charly embêtait Morgan qui riait tout le temps. Sandra ne vint pas dîner. Jonathan paya, Morgan et Charly le remercièrent. Ensuite, il caressa le dos de Sherockee, ce qui la fit sursauter une fois de plus. Tout le monde rejoignit sa chambre. Jonathan alla prendre une douche, Sherockee s’assit sur le bord du lit. Elle n’aimait pas lorsque Jonathan allait prendre une douche et qu’il fermait la porte. Mais là, elle commençait à avoir peur de ne pas le voir. Elle ne tenait plus, elle se déshabilla et le rejoignit. L’eau chaude lui brûlait ses blessures, mais retirait de son corps les souffrances vécu dans ce bunker. Jonathan lui lava doucement les cheveux. Sherockee posa sa tête contre le torse de Jonathan. Après être sortis, ils se couchèrent l’un contre l’autre. Jonathan attendait ce moment depuis longtemps. Sentir la peau douce et délicate de Sherockee, pouvoir enfin la toucher. Rien ne pouvait remplacer cette sensation, ce besoin de l’autre. Sherockee se sentait enfin protégée, enfin libre de pouvoir fermer les yeux sans avoir à craindre de revoir le visage qui l’avait terrifié pendant des jours et des jours. Pourtant, elle n’arrivait pas à dormir, la peur était toujours là malgré tout. Elle se rapprocha encore de Jonathan. Il resserra ses bras autour d’elle.

    – Jonathan… Tu penses que je devrais leur donner ?

    – Leur donner quoi ?

    – La clé.

    – Quelle clé ?

    – La clé de l’Autre Côté, dit-elle d’une voix tremblante.

    Jonathan se redressa brusquement. Il venait de comprendre. Cette histoire n’était pas encore finie, elle venait de commencer. Jonathan pensait savoir pourquoi ils la voulaient. Sherockee et lui allait souvent là-bas, et ça ne plaisait pas à Danam et son armée.

    – Sherockee ! Tu sais bien qu’ils ne feront pas le bien avec ! Ils pourraient détruire les humains ! Et puis, ils pourraient détruire le reste ! Non, tu ne peux pas leur donner !

    Jonathan chuchotait, mais sa voix montait de phrase en phrase. Sherockee essaya de garder la voix basse également.

    – Mais Jonathan ! Je n’en peux plus, j’ai envie de me tuer ! Je n’ai plus la force de lutter encore !

    Je sais mais…

    Non tu ne sais pas ! Ce que je vis tous les jours, ça n’est pas le train-train agréable de tout le monde! Chaque jour, j’essaye de remettre les humains dans un chemin plus agréable, pour éviter qu’ils ne se tuent entre eux, ou de ruiner la terre que je leur ai offerte ! Mais non, ces messieurs dames n’ont que faire de tous mes efforts ! Chaque jour, lorsque je vois qu’un nouveau meurtre, qu’une nouvelle tuerie a eu lieu, ou qu’une nouvelle fois, du pétrole ruine les océans, qu’une nouvelle fois, la surexploitation a tué des milliers d’arbres et d’animaux, je sais que j’ai échoué encore une fois ! Alors, je me lève le matin et je recommence à aider les humains, et puis le jour d’après encore et encore ! Mais la force qui m’aide depuis si longtemps, la force qui me permet de garder l’espoir qu’un jour enfin, ils comprendront, eh bien, cette force elle me quitte Jonathan, tu comprends !

    La voix de Sherockee avait fini par se noyer dans un sanglot. Elle s’était levée du lit, et avait maintenant la tête tournée vers la fenêtre. Elle n’avait plus de souffle, elle avait crié, trop fort et trop longtemps. Le silence avait pris place. Au bout de quelques minutes, elle se rassit sur le bord du lit et reprit, mais cette fois en chuchotant.

    Alors, tu vois, lorsque j’ai le devoir de nous protéger, moi et les humains, des forces du mal… J’ai l’impression de ne plus être à ma place. Je me demande parfois pourquoi je lutte, pourquoi je ne me laisse tout simplement pas mourir. Lorsque j’étais dans ce bunker, j’ai compris que, même si je le voulais, la mort ne m’atteindra pas. La vie que j’ai donnée un peu partout dans l’Univers me garde en vie aussi.

    Le silence revint. Jonathan ne bougeait plus, il ne voulait rien répondre. Sherockee regardait ses mains. Ses cheveux étaient tombés devant son visage, faisant un rideau qui marquait une certaine distance. Deux ou trois minutes passèrent, semblant durer des heures. Jonathan redressa la tête. Il regarda Sherockee.

    Il faut que l’on aille prendre l’air, je pense que ça nous fera du bien.

    Ils se levèrent tous les deux, allèrent chercher de quoi s’habiller. Ils passèrent rapidement quelques habits (Sherockee prit son vieux jean et une chemise à Jonathan) et ils sortirent de la chambre. Lorsqu’ils furent sortis de l’hôtel, l’air fut une délivrance. Ils respiraient enfin, comme une renaissance. Ils se baladèrent dans tout Arlit, passant devant les écoles, les maisons et les hôtels. Les rues étaient quasiment vides. Personne n’allait se balader à quatre heures du matin, à part bien sûr deux amants. Le soleil commençait à monter dans le ciel, les couleurs s’éclaircissaient dans le bas du ciel.

     

    Chambre 204

    Sandra n’arrivait toujours pas à comprendre les paroles qu’elle avait entendues. Sa chambre était de l’autre côté du mur de celle de Sherockee. Les murs n’étaient pas parvenus à cacher la conversation, et Sandra en avait suivi chaque mot, prenant même quelques notes. Elle était assise sur son lit, mais se leva pour aller à la fenêtre. Elle leva la tête vers le ciel.

    « Dimitri, qu’est-ce qu’elle nous cache ? Tu le savais, j’en suis sûre. Tu étais sur l’affaire qui la concernait, tu étais obsédé par elle, tu ne dormais plus sans penser à elle… Tu sais, n’est-ce pas ? Alors, qu’est-ce qu’elle ne nous a pas dit ? Et puis, tu penses que je devrais lui demander ? Dimitri, pourquoi est-ce que je n’arrive plus à réfléchir lorsque je te sais loin de moi ? Tu dois savoir, ça aussi… Tu devais savoir que je t’aime, tu devais savoir… Dimitri… »

    Quelques larmes recommencèrent à couler le long de sa joue. Elle les essuya d’un seul geste, et releva la tête.

    « Ne t’inquiète pas, je te jure que je vais continuer ce que tu as commencé, je vais continuer à l’aider à ne pas finir dans le couloir de la mort. Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’elle veut quand même aller voir ta mère. Soit elle est folle, mais très attentionnée, soit elle est complètement inconsciente parce que tu ne l’as pas prévenue de ce qui l’attendait. Je pense que ce serait plutôt la première possibilité. Elle est vraiment gentille. Lorsque l’on était sur le tarmac, elle m’a regardé tellement gentiment, elle a été si douce dans ses paroles… Tu comprends ? Oui, je pense, tu as été en contact avec elle pendant l’affaire. Bon, je pense que je devrais aller lui parler. Je pense que ce sera mieux dans l’avion. Il faut que j’y aille. Adieu Dim’, soit tranquille là-haut. »

    Cette dernière phrase fit sourire Sandra. Elle alla prendre une douche et puis alla s’habiller. Elle était consolée, prête à affronter les nouveaux défis que la vie annonçait. Elle mit un débardeur et un jean confortable, pas question de faire le trajet en avion dans une tenue étroite. Elle se passa trois coups de brosse dans les cheveux, se fit une queue de cheval, la retira et se fit une natte, la défit voulu se faire un chignon, mais finalement laissa ses cheveux détachés. Elle fit sa valise (composé un jean, un pull, un t-shirt, un gilet fin, une brosse à dent, du dentifrice et un shampoing), et ouvrit la porte. Deux hommes étaient devant elle, tous deux vêtus d’un jean noir et d’un t-shirt noir avec quelques motifs gris argenté. Ils avaient chacun une ceinture, sur laquelle était accroché un étui avec une dague. Ils attrapèrent brusquement Sandra, l’un des deux plaqua sa main sur la bouche de la jeune femme, et l’autre s’approcha de son oreille.

    N’essaye pas de prendre ton arme, je veux juste te parler.

    Sandra hocha la tête, elle ne savait pas quoi faire. Ils relâchèrent leur étreinte, Sandra se frotta le bras.

    Ecoutes-moi, n’essaye pas d’aider Sherockee, ou nous serions obligés de te faire subir le même traitement que Dimitri. Saches aussi que tu pourras toujours essayer de nous retrouver, tu n’y arriveras pas. Et si tu parles de notre rencontre à un humain, il n’y aura pas qu’un seul mort.

    Il finit sa phrase et s’en alla, avec l’autre homme. Sandra ne comprenait plus rien, elle s’assit dans le couloir et prit sa tête entre ses mains. Elle savait que cette histoire allait lui attirer des ennuis, comme à Dimitri. C’était à cause de ça qu’il était mort, parce qu’il avait essayé de sauver Sherockee. Cette fille avait caché trop de choses, il fallait qu’elle sache maintenant. Elle se releva, prit sa valise et descendit. Son cœur battait encore trop vite. Elle était essoufflée, elle s’appuya contre les parois de l’ascenseur. Lorsqu’elle fut dans le hall, elle rendit la carte de la chambre. La réceptionniste lui demanda si l’hôtel lui avait plu. Sandra répondit d’un hochement de tête. La réceptionniste la regarda, pencha la tête et lui demanda si tout allait bien. Sandra fit un triste sourire et hocha de nouveau la tête. Elle sortit, un petit déjeuner ne lui disait rien. Lorsqu’elle fut dehors, elle respira. Ce matin-là était encore plus doux que les autres. Elle avait vécue trop d’émotion en deux jours. Trop de pensées se baladaient en même temps dans sa tête, elle ne comprenait plus rien. Elle alla s’installer sur un banc dans une petite ruelle. Il était sept heures, il fallait qu’elle attende encore deux heures, et elle serait partie de ce pays. Elle n’avait rien contre les Nigériens, rien contre le Niger, rien contre la chaleur, rien contre le soleil… Mais elle ne pouvait plus supporter l’idée que son ami, son meilleur ami même, soit mort sur ces terres. Elle regarda devant elle et vit Sherockee et Jonathan. Ils s’approchaient d’elle. Sherockee arrivait beaucoup mieux à marcher maintenant. Elle avait encore une certaine difficulté à poser la jambe mais elle essayait de le cacher. Lorsqu’ils arrivèrent à la hauteur de Sandra, Sherockee s’assit sur le banc.

    Bonjour Sandra ! J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui vous tracasse. Ça n’est qu’une impression ? Ou il y a vraiment quelque chose qui ne va pas ?

    Je… Je ne sais plus où j’en suis… Il s’est passé trop de choses en deux jours, trop d’émotion, trop de tracas, trop de questions…

    Jonathan regarda Sandra puis Sherockee, et dit qu’il allait les laisser, il devait faire sa valise. Sherockee le regarda s’éloigner, puis elle regarda autour d’elle.

    Je sais que vous vous posez beaucoup de questions sur qui je suis, qui sont les hommes qui ont tués Dimitri, mais ne vous inquiétez pas, je vais vous donner quelques réponses. Mais d’abord, je voudrais savoir ce qui s’est passé ce matin pour que vous ayez une aussi triste mine.

    Je ne peux pas, ils m’ont dit de ne pas le dire.

    Alors, donnez-moi vos mains.

    Sherockee prit doucement les mains de Sandra. Celle-ci était crispée, mais le contact avec les mains douces de Sherockee la détendu. Elle se laissa faire. Sherockee ferma les yeux. Une sensation étrange parcourue Sandra. Elle ferma les yeux aussi, et se laissa emporter dans un monde qu’elle ne connaissait pas. Elle oublia le monde autour, le bruit, les odeurs. Plus rien n’existait. Soudain, elle revit la scène du matin. Les hommes, leurs habits noirs, leurs dagues… Tout repassait devant elle. Mais cette fois-ci, d’une façon plus lointaine, comme lorsqu’un acteur joue une scène et la revoie ensuite sur un écran. La scène se finit, Sherockee rouvrit doucement les yeux. Ses yeux étaient plongés dans leurs mains. Sandra rouvrit elle aussi les yeux. Elle regarda Sherockee. Elles restèrent un petit moment sans bouger. Puis, Sherockee se redressa et regarda Sandra.

    Je suis désolée… Il faut que je vous explique maintenant. Les hommes qui sont venus vous voir ce matin, ce sont ceux qui ont tué Dimitri. S’ils l’ont tué, c’est parce qu’il en savait trop sur moi, et qu’il a voulu m’aider. Je ne peux pas vous en dire plus sur eux, je ne peux pas vous en dire plus sur moi, vous en savez déjà assez. Pour eux, peu importe s’ils ont besoin de tuer. Le plus important, c’est que je ne sois qu’une ombre, qu’une simple fille un peu détraquée… Je sais que ça vous parait étrange, mais il en est ainsi. Ma vie est construite ainsi. Vous me trouverez complètement stupide maintenant… Tant pis !

    Non, non pas vraiment… Plutôt… Je trouve tout cela… Presque impossible, mais en même temps… Je pense que vous dites la vérité. Une vérité difficile à croire, mais une vérité possible. Dimitri y a cru, moi aussi je vais y croire.

    Merci.

    Sherockee baissa la tête. Elle avait rougit, Sandra sourit. Les hommes de l’équipe arrivaient sur le chemin. Il était déjà huit heures, il fallait aller à l’aéroport. Sandra prit la main de Sherockee et l’aida à se relever. Ils partirent tous ensemble, d’un pas dynamique. Diego les attendaient, comme le jour de leur arrivée, devant l’aéroport. Il fit un grand sourire.

    Tout est déjà prêt ! Il ne reste plus qu’à passer les contrôles. Si vous voulez bien me suivre…

    Il fit une petite courbette, avant de partir en rigolant. Les contrôles se succédèrent, sans problème, à part Charly qui avait oublié de retirer son arme de secours de sa chaussure… Il montra son badge et passa sans plus de problème. Lorsqu’ils arrivèrent sur le tarmac, Sandra resserra ses doigts sur la main de Sherockee, elles ne s’étaient pas lâchées, sauf pour les douanes et les fouilles. Une grande complicité était née entre elles ce matin-là. Les garçons en étaient presque jaloux… Ils arrivèrent devant le jet. C’était encore l’appareil noir qu’ils avaient eu à l’aller. Mais ça n’était plus les même hôtesses, et une fois de plus, Morgan avait les yeux rivés sur une d’entre elles. Les bagages furent mis en soute, puis, ils montèrent dans l’appareil. Tout le monde s’installa et s’attacha. Sherockee regarda par le hublot, les réacteurs tournaient de plus en plus vite, on ne les voyait déjà plus. L’avion commença à avancer, puis il prit de la vitesse, encore et encore, et le sol finit par s’éloigner. Sherockee avait déjà le sentiment d’être plus proche d’un bureau du FBI ou d’une autre agence. Elle sentit que sa gorge se serrait. Elle attendit l’annonce pour se détacher. Elle alla faire le tour de l’appareil. Pendant ce temps, Charly, Morgan et Jonathan allèrent faire un tour au buffet. Diego et Sandra allèrent tous les deux vers le fond de l’appareil, ils prirent quelques sacs en passant. Morgan fut intrigué par le comportement de Sherockee. Elle faisait tout le tour de l’appareil, frôlant les parois, parfois en bougeant légèrement les lèvres.

    Je ne comprends pas, qu’est-ce qu’elle fait ? C’est habituel chez elle ? demanda Morgan en se tournant vers Jonathan.

    Je vais t’avouer que cela fait bien quatre ans que nous sommes ensemble, et je n’ai toujours pas compris ! Elle n’a jamais voulu me le dire.

    Ils la regardèrent encore un petit moment, avant de voir Diego et Sandra revenir avec une tonne de sac dans les mains.

    Vous avez dévalisé le magasin de sacs à vomi ? Quelle performance ! Vous allez pouvoir passez à la Maison Blanche, rigola Charly.

    Sandra fit comme à l’allée, elle avait du papier toilette dans la main et lui lança sur la tête, mais cette fois, l’enroula comme une vulgaire momie. Tout le monde rigolait, même les hôtesses qui pouffaient à côté. Ensuite, elle prit soin de dessiner des yeux et une bouche sur le papier. La jeune femme retournait en enfance, elle faisait n’importe quoi. Elle continua en lui mettant un gâteau dans la bouche et en lui plantant le stylo dedans. Cette fois, plus personne ne put échapper au fou rire. Morgan prit une photo, mais dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à faire une photo nette. Après de longues minutes de rire, le calme revint enfin. Il était dix heures au Niger, deux heures du matin aux Etats-Unis. Chacun trouva une occupation. Sherockee s’était endormie dans un fauteuil. Jonathan et Charly rigolaient sur tous les thèmes qui leur passaient par la tête. Morgan lisait un livre à côté de Sandra, qui faisait des mots croisés. À midi, Sandra et Diego prirent un petit repas (presque rien pour ainsi dire), les autres mangèrent comme quatre, sauf Sherockee, qui elle, ne prit rien. Le repas se passa très bien, Sherockee parlait beaucoup, faisant beaucoup rigoler. L’équipe lui découvrit un sens de l’humour très développé. Rien à voir avec la jeune femme distante qu’ils avaient côtoyé pendant les jours précédents. A la fin du repas, Sandra couru, malgré ses multiples précautions, aux toilettes. Le reste de l’équipe aida les hôtesses à nettoyer, ce qui fut rapide. Ensuite, Sherockee refit un petit tour de l’appareil, histoire de se dégourdir les jambes. Après avoir fait quelques allers retours, elle s’installa à côté de Charly. Ils commencèrent à discuter, Charly lui posait beaucoup de questions. Sherockee jouait le jeu et répondait au maximum de questions. Pour quelques-unes, elle rigolait et demandait à passer à la suivante. Charly finit par arriver au sujet que Sherockee avait réussi à oublier jusqu’à maintenant.

    Tu penses que si tu vas aux Etats-Unis, tu auras le temps d’aller voir la mère de Dimitri, avant qu’ils ne te retrouvent ?

    Sherockee poussa un long soupire et baissa la tête.

    Je ne sais pas, mais en tout cas, s’ils me retrouvent, je serais prête à retourner dans un interrogatoire, et autant de temps qu’il le faudra ! Même si je devais aller en prison, je serai prête, dit-elle sur le ton le plus sûr et le plus sérieux du monde.

    Charly, Morgan et Diego restèrent bouche bée. La femme qu’ils avaient devant eux les impressionnait toujours plus. Rien de laissait penser qu’elle mentait, qu’elle hésitait ou qu’elle avait peur. Elle avait la tête haute, les épaules droites, le visage souriant et ses yeux brillaient. Pourtant, derrière son masque, Sherockee était angoissée. Mais elle ne voulait pas le montrer. La peur était en elle, elle essayait de la déstabiliser, elle essayait du lui faire perdre la confiance qui l’avait portée jusque-là. Mais elle voulait y croire, et voulait le montrer. Sandra arrivait à ce moment, elle était pâle, et essayait désespérément de tenir sur ses jambes. Elle s’assit dans un fauteuil, et reprit ses mots croisés. Personne ne parlait, Sandra avait entendu la discutions et ne voulait pas relancer le sujet. Une bonne heure s’écoula dans le plus grand des silences. Seuls les bruits habituels de l’avion venaient le troubler. Finalement, Sherockee se leva et regarda toute l’équipe, avec un léger sourire au coin des lèvres.

    Bon, on a encore environ cinq heures devant nous. Est-ce que quelqu’un a une idée pour me faire passer aux contrôles de l’aéroport sans m’attirer tous les agents de toutes les agences du pays ?

    Ils se regardèrent tous, ils n’avaient pas encore pensé à ça. Sherockee n’avait pas l’air plus inquiété que tout à l’heure. Elle souriait encore, même en voyant les mines hébété des autres.

    Personne ? Bon, tant pis ! Moi, j’ai une idée, mais il va falloir que vous fassiez preuve d’imagination, et puis, que vous ne le disiez à personne.

    Elle se retourna. Ses cheveux tombèrent devant son visage. Au bout de deux secondes, elle se retourna, en faisant attention qu’aucune des hôtesses ne puisse voir. Charly, Diego, Morgan et Sandra firent un bond dans leurs fauteuils. Sherockee avait complètement changé. Son teint de peau était plus mat, elle avait des tâches de rousseurs sur les joues et semblait vieillie. Ses cheveux avaient foncé pour devenir bruns et ses yeux étaient devenus noir. Elle se retourna à nouveau et reprit son visage normal. Les autres n’en revenaient toujours pas. Jonathan rigolait de voir leur tête. Sherockee se joignit à ses rires.

    Ne vous inquiétez pas ! Se sera juste pour le passage à l’aéroport ! Ne me regardez pas comme ça, je sais que c’est étrange d’arriver à faire cela, surtout pour vous les humains, mais je ne peux pas vous expliquer.

    De nouveaux rires. Sherockee s’assit de nouveau à côté de Charly. Il avait gardé sa bouche entrouverte, elle lui remonta le menton. Il avait encore les yeux écarquillés. Elle rigolait toujours. Elle s’essuya les yeux.

    – Mais, comment tu vas faire après ? demanda Sandra. Enfin, je veux dire, comment tu vas passer les douanes ? 

    Je m’occupe de tout ça ! Par contre, quelqu’un aurait l’adresse de la mère de Dimitri ? Parce que si je veux aller la voir, mieux vaut que je sache où aller !

    La discussion continua pendant deux heures. Sherockee posait beaucoup de question, tout le monde essayait de trouver des solutions. Elle alla se changer, ils avaient décidé qu’une tenue plus propre se ferait moins remarquer. Ensuite, Sandra l’aida à se démêler les cheveux et lui fit un beau chignon. Elle lui passa un peu de maquillage après lui avoir nettoyé le visage. Sherockee était beaucoup plus belle, déjà que la beauté ne lui manquait pas, mais maintenant, son visage était encore plus éclairé. Le jean noir que lui avait passé Sandra lui affinait la taille et les jambes. Le gilet lui tombait gracieusement sur les hanches. Elle avait quand même gardé la chemise de Jonathan (elle ne voulait rien prendre d’autre à Sandra), ce qui laissait le style décontracté qu’elle avait avant. Elle arriva devant les garçons. Ils sifflèrent en la voyant. Elle rougit, ce qui fit rire une nouvelle fois Sandra. Elle s’assit à côté de Charly, qui la dévisageait en souriant.

    Dis-moi, tu penses vraiment passer inaperçue comme ça ? Tout le monde va te voir là !

    Il rigola et Sherockee lui donna un coup de poing amical sur l’épaule. Ils rigolèrent tous. Charly rigolait tellement qu’il tomba de son fauteuil. Le fou rire les prirent tous et ils ne réussirent pas à se calmer avant un bon moment.

    Le temps passa. Les occupations étaient multiples : Sandra et Sherockee lisaient des magazines tout en discutant, Morgan essayait de savoir qu’elle serait sa prochaine enquête, Jonathan et Charly faisait des mots croisés, Diego dormait. Bien sûr, les activités changeaient en fonction des envies de chacun. Puis, le pilote annonça qu’il était temps de s’accrocher pour l’atterrissage. Sherockee sentit sa gorge se serrer. Le plan décidé avait des chances de réussir, mais il fallait rester prudent. Les trains d’atterrissage se posèrent sur la piste. Le jet s’avança et alla se garer avec les autres jets privés. Les hôtesses firent leur grand sourire et la porte s’ouvrit. Après les traditionnels remerciements et salutations, toute l’équipe descendit sur le tarmac.

    Dehors, il faisait nuageux, quelques gouttes commençaient à tomber du ciel. Sherockee mit la capuche du gilet, la voiture s’approcha. Ils montèrent dans la voiture, Sherockee ne retira pas sa capuche, il fallait passer à l’étape suivante du plan. Le chauffeur regardait parfois dans le rétroviseur, mais ne disait rien. Lorsque tout le monde descendit, il rappela Diego et lui dit que le cercueil arriverait quelques minutes plus tard. Diego le remercia et rejoignit les autres. Ils entrèrent dans le terminal. Ils devaient passer les douanes pour entrer dans l’Etat. Sherockee était stressée, mais elle partit d’un pas assuré vers les cabines. Elle n’avait pas de valise à récupérer, elle était la seule d’ailleurs. Elle devait attendre encore quelques minutes, une longue file de personne se trouvait devant elle. La file avançait, elle voyait maintenant le douanier. La file continuait à avancer et se fut au tour de Sherockee. Les questions furent les mêmes que d’habitude. Le douanier lui demanda si elle allait voir quelqu’un, combien de temps allait durer son séjour, etc. Il regarda sa carte d’identité et son passeport. Discrètement, Sherockee croisa les doigts. Lorsque le douanier lui qu’elle pouvait y aller, elle se retint de sauter de joie. Elle remercia et salua simplement le douanier, avant de sortir en faisant bien attention à continuer de contrôler sa magie, pour éviter de changer de visage dans le hall. Elle était si près du but, cela aurait été trop stupide d’échouer maintenant. Lorsqu’elle fut sortir, elle laissa éclater sa joie et fit sauta plusieurs fois sur place, en criant. Les gens autour ne comprenaient pas. Certains rigolaient. Elle attendit le reste de l’équipe. Lorsqu’elle vu Sandra, elle sautillait encore sur place.

    Ça y est ! Je suis en Amérique ! Je vais pouvoir aller voir la mère de Dimitri !

    Calmes-toi ! Les personnes autour commencent vraiment à te trouver bizarre, et tu n’as pas besoin de te faire remarquer !

    Oui, désolée. Sinon, chuchota Sherockee, quand est-ce que tu penses que je pourrais changer de tête ? Parce que déjà je ne sais pas comment rentrer dans l’hôpital, alors si en plus quelqu’un me reconnaît avant…

    Je ne sais pas. Il faut regarder les infos, voir s’ils ont montré ton visage. On peut demander à Morgan, il a son ordinateur dans ses bagages.

    Elles attendirent patiemment que les hommes arrivent. Lorsque l’équipe fut enfin réunie, Morgan sortit son ordinateur, qui ressemblait plutôt à une tablette avec un clavier. Mais l’écran n’était pas tactile, donc, c’était un ordinateur. Ils regardèrent tous les journaux de tous les jours depuis une semaine, c’est-à-dire au total, à peu près deux heures de reportages seulement pour Sherockee. Bien sûr, Morgan accélérait les vidéos. A la fin de ses deux heures accélérées de reportage, il put dire qu’une seule fois le visage de Sherockee avait été montré, mais la photo ne permettait pas de bien le voir. Sherockee regarda autour d’eux, personne ne faisait attention à eux, tout le monde était trop occupé à courir pour prendre un taxi ou attraper un avion. Elle remit donc sa capuche et changea de visage. Elle garda quand même les cheveux bruns. Elle releva ensuite la tête.

    Bon, maintenant, comment je fais pour rentrer dans l’hôpital ? Quelqu’un a une idée à proposer ? Ne vous battez pas surtout, un seul à la fois !

    Elle rigolait devant leurs mines perplexes. Ils finirent par rire aussi. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, Sandra se leva et se planta devant les autres avec un grand sourire.

    J’ai une idée ! Tu pourrais simplement dire que tu viens annoncer la mort de Dimitri à sa mère. Ils te demanderont une pièce d’identité, tu leur présenteras simplement la même que celle utilisé pour les douanes de l’aéroport ! D’ailleurs, comment as-tu fait pour qu’ils te laissent passer ?

    Sherockee répondit simplement par un sourire et un regard mystérieux. Personne d’autre n’insista. Tout le monde se releva et ils hélèrent un taxi. Diego dit qu’il devait les laisser. Il devait prendre une voiture spéciale pour emmener le cercueil de Dimitri et ensuite aller au bureau du FBI, pour aller parler à Nelson.

    S’il te demande où je suis, dit lui simplement que je viendrai me présenter au FBI avant quinze heures. Si je n’y suis toujours pas après, qu’ils viennent me chercher, rit Sherockee.

     L’équipe le salua et tous rentrèrent dans le taxi. Le chauffeur leur demanda s’il voulait tous aller au même endroit. Sandra dit qu’il devait aller au Memorial Hospital. Le conducteur ne posa pas plus de question. Il prévint ses passagers que la circulation était ralentie, même arrêtée à certains endroits, et qu’il faudrait du coup attendre environ trois quarts d’heure. L’addition allait être salée, mais peu importait, faire vingt-quatre kilomètres à pied n’était pas au programme de Sandra et des autres. Dans la voiture, les informations remettaient l’équipe dans le bain des grandes villes, et les renseignait sur ce qui s’était passé lors de leur absence. Rien de bien intéressant, la routine. Un vol à main armé dans le quartier de Queens, une manifestation dans Manhattan et d’autres infos sur la politique, le sport etc. Mais lorsque le présentateur annonça le nom Sherockee, la voiture fut tout de suite plus silencieuse. Le présentateur disait que l’affaire n’avançait plus, l’accusée avait mystérieusement disparue et le FBI ne donnait aucune information. L’affaire avait subitement été oubliée, plus personne n’en parlait. Personne ne savait rien. Le présentateur s’arrêta sur ces mots. Il salua les auditeurs et la voix de Rihanna remplit l’habitacle de la voiture. Sherockee avait baissé la tête et semblait réfléchir en se triturant la lèvre du bout du doigt. Les discussions reprirent, avec cette fois le conducteur. Les avenues se succédaient, les voitures aussi. Le trafic était assez fluide sur les petites rues empruntées savamment, mais se ralentissait vite arrivé sur les avenues. Le trajet se fit sans plus de problèmes. Sherockee ne parla pas, mais les autres comblaient le vide. Arrivé dans l’avenue de l’hôpital, Sherockee redressa la tête et regarda par la fenêtre. L’hôpital se dressait dans la rue. Le taxi s’arrêta devant, sur le trottoir. Les passagers descendirent, et Jonathan paya. Ils entrèrent dans l’hôpital. La salle d’attente était pleine, les infirmières couraient dans tous les sens. Sandra et Sherockee se dirigèrent vers l’accueil. Les autres sortirent, il y avait déjà assez de monde dans le hall. Les deux femmes arrivèrent à l’accueil. La femme qui les accueillit sourit, un sourire qui semblait sortit de loin. Elle leur demanda ce qu’elle pouvait faire.

    Bonjour. Je voudrais aller parler à madame…

    Madame Carter. Ou si vous ne trouvez pas, c’est madame Sunders. Et elle s’appelle Erina.

    Je veux bien, mais d’abord, je vais vous demander une pièce d’identité.

    Sherockee la lui tendit, la photo et le nom avaient encore changés. Sandra n’en revenait pas.

    « Soit elle a des tonnes de fausses pièces d’identité, soit elle est vraiment trop forte en tour de magie ! »

    L’infirmière demanda pourquoi elles voulaient aller voir cette dame. Lorsque Sherockee répondit qu’elle devait lui annoncer la mort de son fils, l’infirmière resta sur place. Ensuite elle demanda à Sherockee si elle avait conscience que madame Sunders était une personne fragile, une personne qui ne tenait pas bien les grands chocs.

    J’en ai bien conscience madame, mais préfèreriez-vous qu’elle l’apprenne par les journaux, sans personne à côté d’elle pour la soutenir et la consoler, ou par la bouche de la personne à cause de laquelle il est mort, en essayant de la sauver, mais qui pourra comprendre sa tristesse et la réconforter ?

    L’infirmière ne dit plus un mot, elle emmena Sherockee vers la chambre de madame Sunders. Lorsqu’elles arrivèrent devant sa porte, l’infirmière frappa doucement et entra la première. Madame Sunders était assise dans son lit, en train de lire un énorme livre. Sherockee suivit l’infirmière. Cette dernière la prévint qu’elle aurait quinze minutes tout au plus. Elle la remercia et attendit qu’elle s’en aille pour se tourner vers la mère de Dimitri. Elle était très belle, malgré la tenue vestimentaire de l’hôpital et l’absence de cheveux sur sa tête. Elle était d’assez petite taille, elle avait des mains fines et une manière de les bouger très gracieuse. Elle avait un fichu bleu sur la tête, pour cacher la nudité de son crâne. Elle sourit à Sherockee.

    Bonjour mademoiselle ! Que me vaut la visite d’une si belle jeune fille ?

    Une triste nouvelle malheureusement. Je viens, dit-elle en s’asseyant sur le lit, vous annoncer la mort… De Dimitri. Je suis désolée, il est mort à cause de moi, je n’aurai jamais dû l’embarquer dans cette affaire et j’ai été trop imprudente et…

    Arrêtez de vous torturez comme cela. Je pense que si vous venez me voir, c’est que vous vous en voulez, mais je ne pense pas qu’il soit mort parce que vous l’avez tué. Sinon, vous ne seriez pas venue me voir. Comment tout ça s’est passé ?

    Sherockee lui raconta tout, du début de l’affaire, la mission, jusqu’à l’arrivée à New York et même sa fuite pendant l’affaire. Mais elle essayait toujours de garder la voix suffisamment basse pour que personne n’entende et ne parla jamais de magie. Elle avait du mal à parler, sa gorge était serrée, et les larmes montaient au fur et à mesure de son récit. Lorsqu’enfin elle se tut, elle vit une larme tomber sur les mains de madame Sunders. Elle lui prit les mains, le regard doux, noyé de tristesse. Dans ces moments-là, parfois il suffit de quelques gestes pour consoler. Madame Sunders releva la tête et prit celle de Sherockee entre ses mains. Elles étaient douces et délicates. Sherockee put voir les larmes qui coulaient le long de ses joues.

    Merci de m’avoir apporté la nouvelle. Je vous suis extrêmement reconnaissante, très touchée même, confia la vielle dame d’une voix chevrotante. Maintenant, il faut que ce soit à moi de vous dire quelque chose. Si mon fils est mort, c’est qu’il parce qu’il vous trouvait très agréable, peut-être même un peu charmante et séduisante, et en même temps, mystérieuse et intrigante. Il voulait vous sauver de la prison, il le voulait absolument. Une fois, il m’a téléphoné et il m’a parlé de vous. Il m’a dit qu’il voulait croire que vous êtes innocente, que plus il vous voyait, plus il vous savait innocente, mais qu’il ne pouvait pas le prouver, que c’était impossible. Si vous aviez entendu l’ambition et l’admiration dans sa voix lorsqu’il prononçait votre nom ! Même si je ne le voyais pas souvent, je savais qu’à ce moment-là, ses yeux était remplis de petites paillettes, comme celles que je voyais lorsqu’il était enfant, après qu’il est parlé aux étoiles, ou lorsqu’il revenait de la bibliothèque avec un nouveau livre sur l’astrologie. Je savais qu’il n’était pas amoureux de vous, il m’a dit que vous avez déjà un compagnon, et puis, il avait déjà Sandra, mais je sentais qu’il voulait vous connaître mieux, savoir plus de choses sur vous. Il voulait vous connaître en dehors de cette affaire. Il m’a même dit que s’il ne réussissait pas à vous sortir de ce pétrin, il serait trop malheureux pour continuer son métier. Plusieurs fois il me l’a dit. Lors de votre affaire, il m’a téléphoné trois fois, à chaque fois nos conversations revenaient à vous. Trois fois en une semaine, je vais vous avouez que ce fut un record ! Et puis, il parlait sans s’arrêter. Comment vous dire… Il ressentait, et c’était la première fois, quelque chose pour une accusée. Autant vous dire que d’habitude, il a un cœur de pierre. Mais j’ai compris pourquoi maintenant. C’est parce que vous reflétez à vous toute seule la vie qu’il y a sur cette terre, la diversité, l’harmonie des différences. Vous l’a-t-on déjà dit ? Peu importe. Je pense que lorsque l’on parlait de vous, la simple évocation de la prison l’insupportait. Il voulait vous voir sourire, vous voir respirer, vous voir rire, vous voir aimer, vous voir vivre tout simplement. Alors, maintenant qu’il n’est plus ici pour vous le dire, je vais faire passer le message qu’il voulait vous transmettre : vivez, vivez tant que vous le pourrez, même si la prison devait s’imposer dans votre vie, même si la mort emporte des personnes autour de vous ou que l’amour est parti, vivez toujours.

    Ces derniers étaient prononcés plus doucement que les autres. Sherockee n’avait jamais interrompu madame Sunders, celle-ci avait parlé sans s’arrêter. Elle reprenait son souffle, cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas parlé autant. D’habitude, c’était son fils qui parlait beaucoup, elle se contentait de poser quelques questions. Sherockee avait toujours essayé de fuir son regard, mais elle insistait tellement qu’elles gardaient un regard constant. Le silence s’était fait entre les deux femmes. Une autre infirmière que celle qui était là au début passa la tête par la porte. Elle dit à Sherockee qu’elle devait laisser madame Sunders se reposer maintenant. Mais Sherockee était incapable de bouger, les mots qu’elle venait d’entendre était ceux qu’elle avait besoin d’entendre depuis trop longtemps. Le bien qu’elle ressentait maintenant était comme une nouvelle vie qui s’installait en elle. Madame Sunders lui serra les mains. Sherockee releva la tête et se leva, elle n’avait pas de mots pour la remercier ou  la saluer. Sherockee alla jusqu’à la porte et se retourna avant de sortir.

    Merci, je… Je ne vous serai jamais… Jamais assez reconnaissante, souffla-t-elle.

    Votre reconnaissance m’importe peu. Ce qui m’importe c’est ce que cette discussion va vous permettre. Pour le reste, peu importe.

    Sherockee sourit et ferma la porte.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 2 Avril 2015 à 21:37

    Désolées pour le mois d'absence... Voilà un chapitre très long qui, on espère, va vous plaire! ^^

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