• 18

    Sherockee rouvrit les yeux. Elle se trouvait devant le rocher, sur la terre craquelé. Elle s’avança vers le sable de cendre, jusqu’au bord. La mer bleue s’étalait, belle et calme, un calme renforcé par le soleil couchant, rosant le ciel d’une douce lumière. Sherockee inspira profondément et sauta. Elle rentra dans l’eau sans faire une éclaboussure. Un plongeon parfait qui aurait valu la première place aux Jeux Olympiques. Elle se laissa descendre en profondeur et se mit à nager vers l’est, tranquillement. Elle avait tout le temps qu’elle le voulait et le prenait volontiers. Elle nagea en compagnie de bancs de poissons, parfois même de dauphins, qui semblaient s’amuser à la suivre. Elle arriva sur la côte américaine alors que le soleil était au zénith. Elle était dans une petite baie, tout près de la frontière entre les Etats-Unis et le Canada. Elle sortit de l’eau, en se laissant porter par les rouleaux et atteignit le sable, toujours pimpante malgré les heures de voyage. Il y avait quelques promeneurs sur la plage, mais ils ne remarquèrent pas Sherockee, qui était déjà partie se réfugier dans un arbre. Elle préférait ne pas se faire voir tout de suite. Elle regarda autour d’elle. Il fallait qu’elle traverse tout le continent pour arriver à New York, sa destination. Elle se mit à courir, mais pas trop vite. Elle ne se pressait pas, elle prenait son temps. Elle s’arrêta à la tombée de la nuit, dans le Kentucky. Elle se trouva un endroit au calme, loin des villes, dans une forêt bien entendu. Comme à son habitude, elle monta dans un arbre et s’y installa. Elle regarda les étoiles, toujours passionnée par la nuit. Elle resta toute la nuit les yeux grand ouverts. Lorsque le haut du soleil apparu, elle descendit et se remit en route pour arriver quelques heures plus tard dans New York ; elle se dirigea vers Manhattan, traversa quelques petites rues et arriva devant un grand immeuble.

    « Il ne fait décidément rien pour me faciliter la tâche… Mais bon, quand il faut y aller, faut y aller ! »

    Elle regarda autour d’elle pour s’assurer que personne ne passait. Ensuite, elle commença à monter, en scrutant chaque fenêtre. Elle était presque invisible sur la façade de l’immeuble. Finalement, en arrivant presque en haut du bâtiment, elle s’arrêta et claqua des doigts.

     

    Le réveil sonna. Le directeur grogna et l’éteignit. Il se leva, s’étira et, lentement, se dirigea vers son armoire. Il prit une chemise blanche, son costard, fit son nœud de cravate et se coiffa. Il n’y avait personne debout à cette heure matinale, ses enfants dormaient encore et il n’y avait aucun bruit. Pourtant, il sentait une présence. Il regarda autour de lui. Il n’y avait absolument rien dans cette chambre. Il se retourna. Son regard se posa sur la fenêtre, où une silhouette était dissimulée derrière les rideaux. Le directeur prit son arme de service, se dirigea à pas feutré vers la fenêtre et souleva brusquement le rideau. Sherockee sursauta. Le directeur, l’arme toujours pointée sur elle, était stupéfait.

    – Ah ! Enfin, j’ai cru que vous ne vous réveilleriez jamais !

    – Mais qu’est-ce que vous faites là ?

    – Si déjà vous baissiez cette arme, je pourrais peut-être parler calmement. Voilà, merci. Bon, tout d’abord, je ne viens pas pour vous faire quoi que ce soit ; je viens juste pour vous demander de m’aider. Je ne sais pas si vous le voudrez bien, mais je tente quand même le coup !

    – Pourquoi est-ce que je devrais vous aidez ? Et puis, vous aidez à quoi ?

    – On reconnait là un véritable enquêteur n’est-ce pas ? Toujours les questions, les questions et les questions. C’est bien, j’aime bien cette façon de réfléchir ! Sinon, j’ai besoin que vous m’aidiez à ne pas retourner en prison. J’y ai fait des choses que je regrette profondément, mais que je ne pourrais pas retirer de ma mémoire… Et de la figure de ceux qui m’ont rencontré dans un mauvais jour… Je n’ai plus envie de passer pour une criminelle, j’ai envie de regagner la confiance des gens. Mais je ne peux pas le faire seule. Et c’est là que vous intervenez ! s’exclama Sherockee. Il y a pas mal d’agents qui ont essayé de m’aider, je crois que vous le savez déjà. Mais, malgré leur volonté, ils n’ont pas réussi. Alors, j’espère que vous…

    Le directeur se frotta les yeux. Il sourit et releva la tête.

    – Mais pourquoi est-ce que c’est tombé sur moi ?

    – Alors là, je vais vous avouer que je me demande exactement la même chose ! Mais j’ai beau y réfléchir, je ne vois toujours pas…

    – Et, dites-moi, qu’est-ce que j’aurai si j’aide la criminelle de l’affaire la plus tordue du siècle qui s’est introduit chez moi par effraction ?

    – Présumée criminelle s’il vous plaît, et puis je ne suis pas rentrée chez vous par effraction !

    – Ah oui ? Alors comment êtes-vous rentré ?

    Sherockee sourit et disparu de la fenêtre. Le directeur écarquilla les yeux et chercha derrière les rideaux. Non, Sherockee avait bien disparu. Elle réapparu derrière lui et lui tapota l’épaule. Il sursauta et pointa son arme. Sherockee loucha sur l’arme et leva les bras en souriant.

    – Vous faites tout le temps ça ? Vos enfants ne vous ont jamais fait peur ? Parce sinon, ce sont eux qui ont dû avoir peur…

    – Si, ils me l’ont déjà fait, mais ils ne disparaissent pas pour me le faire ! Je crois que vais aller prendre un café, ça va me réveiller un peu plus…

    – Très bonne idée !

    Le directeur sortit de la chambre, suivit de Sherockee. Ils allèrent dans la cuisine, où le directeur mit une capsule dans sa machine à café, avant de se tourner vers la jeune femme.

    – Vous en voulez un ?

    – Non merci, je ne mange que rarement, et la dernière fois que j’ai pris un café, la moitié a fini sur la tête de celui devant moi…

    – Ça fait si longtemps que ça que vous n’avez pas mangez ?

    – Je crois que la dernière fois… C’était avant que je ne sois en France.

    Le directeur recracha la gorgée de café qu’il venait de prendre. Sherockee le regarda.

    – Si le café est un peu trop amer, il faut mettre du sucre ou du lait.

    – Ce n’est pas ça… C’est que, c’est impossible ! Enfin, je veux dire, vous seriez déjà anorexique ! C’est impossible !

    – Ah… Impossible… Le mot préféré des humains ! Je ne vois même pas comment un tel mot a pu être inventé ! Rien n’est impossible, pas tant qu’il y a la croyance !

    – Comment ça ? On ne peut pas croire à tout non plus !

    – Pourquoi pas ? Certaines personnes croient en Dieu, d’autres croient à la science…

    – D’accord, mais je ne vais pas croire au Père Noël non plus ! Et puis, vous conviendrez que croire en quelque chose d’impossible est un peu dur !

    – Vous voyez, vous mettez “impossible” un peu partout ! C’est plus fort que vous ! Et puis, lorsque vous étiez petit, vous croyiez bien au Père Noël, au lapin de Pâques ou encore à la petite souris !

    – La petite souris ?

    – Ah ! Oui, bien sûr… Je crois que je suis restée un peu trop longtemps avec les enfants à Paris ! Tu es en Amérique Sherockee ! C’est la fée des dents ici, c’est ça ?

    – Oui…

    – Eh bien vous y avez cru un jour ou l’autre ! Maintenant, vous êtes grand, vous avez découvert certaines choses, la science vous en a expliqué d’autre ou vous avez encore ce que vous appelez des hypothèses sur des points inconnus par la science. Moi, j’appelle plutôt ça des croyances… Mais chacun ses mots. Certains exposent leurs croyances dans des livres, dans des peintures, dans des sculptures, d’autres font des recherches scientifiques pour essayer de prouver leurs croyances et pour gagner un peu de crédulité des autres… Chacun sa façon de faire !

    – Bien sûr… Mais après, si on croit à tout, on ne sait plus faire la différence entre la réalité et la fiction !

    – Mais, je n’ai jamais parlé de croire à tout ! Seulement, si vous ne croyez qu’à la science, vous n’avancerez pas ! La science sert à avoir des certitudes, mais lorsqu’un point inconnu se présente, on fait appel aux croyances, mais les humains veulent prouver les croyances, pour être sûr que tout est vrai, pour avoir des certitudes et non plus des croyances. Alors, ils cherchent, cherchent jusqu’à trouver. Ensuite, ils s’intéressent à autre chose ou cherchent à creuser encore plus. Et on revient au début. Croyances ou hypothèse, recherche. C’est un cercle qui permet aux Hommes d’avoir de nombreuses connaissances. C’est simple, je suis allée dans une école, je ne sais plus laquelle. La première chose que vous apprenez, c’est à rédiger une hypothèse, une problématique ou je ne sais quoi d’autre. Prenons d’autres exemples : comment avez-vous découvert que la Terre est ronde ? En pensant qu’elle était plate ! Comment avez-vous découvert les microbes ? En pensant que le mal venait du diable ou du… Mal. Comment allez-vous découvrir d’où vient l’Univers ? Grâce à vos théories sur le Big-Bang et toutes vos autres croyances sur les Multivers !

    – Donc, si l’on prend des croyances d’humains, peut-être qu’à partir de Mars Attack, de Men In Black et autre films, on pourra prouver qu’on n’est pas seul dans l’Univers, peut-être qu’à partir d’Harry Potter on va pouvoir prouver que la magie existe, qu’à partir de la Bible, on va pouvoir démontrer qu’il y a bien un dieu là-haut…

    – Qui sait ? Peut-être !

    – Je n’y avais jamais pensé comme ça…

    Le directeur semblait soudain un peu rêveur. Sherockee sourit, contente de l’avoir plongé dans sa réflexion et aussi heureuse d’avoir eu une discussion de plus de cinq minutes sans l’avoir énervé. Un petit garçon arriva dans la cuisine en baillant, suivit d’un autre garçon, plus grand. Le premier semblait avoir cinq ans et l’autre devait avoir dix ans de plus. Celui-ci arrivait en pianotant sur son portable ; il le posa sur la table, à côté de lui, prêt à sauter dessus dès qu’un message arriverait.

    – Bonjour papa !

    – Les gars ! Il faut vraiment que j’y aille moi ! Je suis en retard !

    – Eh ! C’est pas toi la salope qui a foutu mon père à l’hosto ? demanda le plus grand.

    – Dis-donc ! Côté langage, il tient de vous, il n’y a pas de doute ! Et, oui, c’est à cause de moi ! Mais, dis-moi, toi, tu n’as jamais envoyé un copain qui avait essayé de te frapper à l’hôpital en lui balançant ton poing dans sa figure et en le finissant avec un bon coup de pied dans les côtes ? Il est resté deux jours à l’hôpital, non ?

    – Comment vous savez ça ?

    – Je crois que l’on va y aller…

    – Non, je veux qu’elle m’explique d’abord !

    – D’accord, je t’explique. Je sais beaucoup de choses sur beaucoup de monde, mais personne ne le comprend vraiment. Et si je te dis pourquoi…

    – Il faut vraiment que l’on y aille Sherockee ! Mike, elle t’expliquera ça plus tard si tu veux ! Allez, on y va !

    Le directeur embrassa rapidement ses deux enfants et sortit de la cuisine, en entraînant Sherockee par le bras. Mike leva les yeux au ciel, provoquant un éclat de rire chez Sherockee. Ils sortirent et le directeur se dirigea vers l’ascenseur.

    – Très peu pour moi ! Je vais prendre les escaliers, on se retrouve en bas !

    – Vous savez à quel étage on est ?

    – Rien à faire ! Je vous pari cent euros que j’arrive en bas avant vous, sans mes pouvoirs !

    – D’accord, je prends le pari, mais vous n’avez aucune chance contre le plus rapide des ascenseurs de New York !

    L’ascenseur arriva, Sherockee partit en courant. Elle descendait les escaliers, mais debout sur la rampe, comme un surfeur sur sa planche. Elle arriva en bas alors que l’ascenseur en était à la moitié du chemin. Elle s’installa sur le mur en face de la porte de l’ascenseur, baissa la tête et mit ses cheveux devant son visage. Ensuite, elle attendit. Lorsque la porte s’ouvrit, elle releva la tête et croisa les bras.

    – Vous avez perdu ! Vous me devez cent euros !

    Sherockee tendit le bras en signe de réclamation.

    – Et vous, je sens que vous avez triché !

    – Même pas ! Vous sentez mal, rétorqua Sherockee en prenant les billets que lui tendait l’homme. J’ai seulement utilisé la rampe ! Elle glisse vachement bien, surtout pieds nus !

    – Ne me dites pas…

    Le directeur posa son regard sur les pieds de Sherockee, nus. Il secoua la tête.

    – Mais vous êtes vraiment malade ma parole ! Bon, il faut vraiment y aller, maintenant. On discutera de votre raison dans la voiture… Attendez-moi devant l’immeuble, en essayant de ne pas trop vous faire repérer ! J’arrive dans deux minutes, le temps d’aller chercher la voiture.

    – Ne vous inquiétez pas, je devrai y arriver ! Mais ne trainez pas trop…

    Le directeur hocha la tête. Sherockee sortit et se mit comme elle l’était dans l’immeuble : la tête baissée et les cheveux devant son visage, appuyée sur le mur derrière elle. Les passants marchaient sans se préoccuper d’elle, mais certains étaient surpris de la clarté de ses cheveux, blancs comme la plus blanche des neiges. Elle essayait de ne pas craquer et de relever la tête, elle avait mal au cou. Elle ne bougea pas, mais dut faire de gros efforts. Elle sentait le regard des personnes sur elle, elle qui n’aimait déjà pas avoir trop de monde autour d’elle, elle se sentait gênée par tous ces yeux tournés vers elle. Une main lui tapa l’épaule. Elle sursauta et se mit en position d’attaque. Le directeur du FBI la regarda, intrigué.

    – J’ai vraiment une tête à faire peur ou quoi ?

    – Non, désolée. C’est moi qui suis vraiment peureuse !

    Ils se dirigèrent vers une grosse voiture noire aux vitres sur teintées. Le directeur monta et invita Sherockee à en faire de même. Elle monta à côté de lui et ferma la portière qui claqua violemment. Sherockee s’excusa et se tourna vers la fenêtre, le regard dans le vide.

    – Il y a quelque chose qui ne va pas ?

    – C’est juste que tous ces gens, là… ils me méprisent comme ils pourraient mépriser la peste ! C’est horrible… Moi qui me faisais une joie de revenir ici ! J’espère que vous m’aiderez, je n’en peux plus qu’ils me considèrent comme ça !

    – D’ailleurs, en parlant de ça… Qu’est-ce que j’y gagne ?

    – Eh bien… Vos cent euros par exemple !

    Sherockee rit. L’homme sourit.

    – Sinon… Ma reconnaissance éternelle… Vu votre tête, je dirai que ça vous importe peu. Mais bon, ce sera toujours ça de gagné ! Et puis… Je ne sais pas, faites-moi une liste ! Je joue le père noël et Saint-Nicolas réunis !

    – Il faut que je réfléchisse alors… Il y a une limite de prix ?

    – Ah… Les prix… Vous savez, l’argent pour moi, c’est comme des brins d’herbe ! J’en ai tant que je m’occupe de la terre ! Pour l’argent, c’est un peu pareil…

    – Vous ne pouvez pas tout achetez non plus, même les plus riches ne le peuvent pas !

    – Vous savez quoi, je pense que vous êtes très bien placé pour le savoir, l’argent ne fait pas le bonheur, et je n’aime pas parler de chose comme celle-là. Si vous voulez mon avis, ce que je peux vous offrir pourrait valoir bien plus qu’une petite ou grosse liasse de papier !

    – Vous, vous avez une idée en tête !

    – Exactement ! Une superbe idée d’ailleurs !

    – Qu’est-ce que c’est ?

    – On dirait un enfant devant un cadeau ! Lorsqu’il déchire l’emballage pour enfin trouver ce qu’il renferme… Mais je m’égare. Je peux vous offrir une nouvelle chance avec l’amour de votre vie, mais seulement si vous êtes d’accord, et elle aussi bien sûr…

    Le directeur resta bouche bée. Sherockee rit.

    – Vous vous moquez de moi, c’est ça ? On s’est quitté il y a un peu plus de trois ans et vous me dites que l’on pourrait… Grâce à vous ? Non, mais il faut vraiment que je vous emmène chez un psy !

    – Pourquoi est-ce que je me moquerais de vous ? J’ai vraiment besoin de vous, je ne prendrais pas le risque de faire ça ! C’est juste que votre tête m’a vraiment fait penser à celle de l’enfant que vous étiez…  Et vous savez quoi, je suis déjà allée chez la moitié des psychologues de la Terre, aucun n’a pu faire quelque chose pour moi, pourtant ils ont tout essayé ! Et puis, pour votre femme…

    – Ex-femme !

    – Oui, enfin la mère de vos enfants, quoi ! Je peux vraiment vous redonnez une chance à tous les deux, mais il faut d’abord que vous m’aidiez, afin que j’ai un peu de temps quand même… C’est vrai, vous avez déjà pris du temps pour me parler correctement, alors pour vous réunir avec votre femme…

    Sherockee se tourna vers la fenêtre, histoire de ne pas voir la tête du directeur. La voiture rentra dans un parking et alla se garer. Elle s’arrêta et le directeur sortit, en claquant la portière. Sherockee sortit en souriant. Elle adorait énerver les autres, c’était plus fort qu’elle. Ils montèrent les escaliers en silence. Le directeur appela l’ascenseur.

    – Vous devriez prendre l’ascenseur cette fois ; on va vraiment…

    – Avant-dernier étage, pas de problème ! On se retrouve là-haut !

    Avant même que le directeur eut le temps de répliquer quelque chose, Sherockee se précipita dans les escaliers et les monta quatre à quatre. Elle arriva en haut à peine deux minutes plus tard. L’ascenseur arriva aussi, mais une fois encore, il fut trop lent. Le directeur vit Sherockee, en tailleur sur le sol. Elle faisait semblant de se limer les ongles, pour mimer qu’elle patientait. Le directeur leva les yeux au ciel et fit lui signe de le suivre. Elle se leva et marcha derrière lui. Ils arrivèrent dans un couloir encore inconnu de Sherockee. Ils continuèrent et arrivèrent devant une grande porte. Le directeur y glissa une clé et ouvrit. Il poussa un peu Sherockee qui rentra. Elle arriva dans un grand bureau, avec un ordinateur posé sur la table, au milieu de quelques énormes dossiers. Des stylos trainaient par-ci par-là, au milieu de feuilles empilées et de boulettes. Sherockee sourit.

    – Dis-donc, j’ai l’impression que vous et le rangement ça fait trois !

    – Ça va, ne commencez pas ! Bien, asseyez-vous, je crois qu’il faut que l’on discute.

    – Je veux bien, mais où est le fauteuil ? Sous les feuilles peut-être ?

    Sherockee rit et s’assit, sous l’air exaspéré du directeur. Il écarta quelques feuilles du bureau, se dirigea vers une grande armoire, ouvrit un tiroir et prit un dossier qui s’y trouvait. Il revint vers la table, posa lourdement le dossier et s’assit. Sherockee connaissait parfaitement ce dossier, il contenait tout ce qui faisait d’elle la présumé criminelle. Elle s’énervait juste en le voyant, mais ne laissait rien paraitre. Elle interrogea l’homme en face d’elle du regard, mais lui non plus ne laissait rien paraitre. Sherockee fit un petit sourire en coin.

    – Alors, qu’est-ce que vous comptez faire avec ce truc ? Le brûler ? Le manger ? Non, je sais ! Vous allez le balancez dans la mer ! s’exclama Sherockee.

    – Moi, je ne ferai rien avec ça. Mais je le mets à votre disposition, si vous voulez faire quelque chose avec…

    – Moi ? Non mais vous avez perdu la tête… Moi ? Faire quelque chose avec ça ? Laissez-moi rire ! J’ai déjà du mal à le regarder, alors le toucher ! Même le lire serait un exploit ! Je crois que vous n’avez pas très bien compris. Je vous demande de m’aider à regagner la confiance des gens, pas à me mettre dans une situation encore pire que celle dans laquelle je me trouve !

    – C’est comme vous le voulez, mais vous savez où me trouvez si vous le voulez. Bien, sinon, je crois qu’il va falloir employer de grands moyens pour vous tirer un peu de là.

    – Vous voulez bien m’aider ? C’est vrai ?

    – Essayer du moins… Mais n’oubliez pas notre marché !

    – Non, promis, promis, promis ! Même si vous ne réussissez pas, mais que vous faites de votre mieux, je vous promets que vous serez de nouveau réunis avant la fête nationale ! Je vous le promets de tout mon cœur ! Merci beaucoup !

    Sherockee était si heureuse qu’elle se leva et sauta sur place, avant de prendre le directeur dans ses bras et de l’embrasser. Elle était vraiment heureuse, mais le directeur était toujours impassible, aucune émotion ne passait sur son visage.

    – C’est bon, calmez-vous. Mais pour que je vous aide, il faudra que vous fassiez quelque chose d’autre. Quelque chose de très important si je veux essayer de réussir.

    – Allez-y, je peux toujours essayer !

    – Je veux en savoir plus sur vous.

    Sherockee se glaça. Elle savait ce qu’impliquait de se livrer ainsi. Elle n’avait pas parlé d’elle depuis très longtemps, et seules quelques personnes la connaissaient vraiment. Elle se rassit sur sa chaise et réfléchit quelques instants. Pendant ce temps, le directeur rangea un peu son bureau et relit quelques papiers. Il semblait très calme, prêt à écouter chaque parole de Sherockee. Elle, par contre, semblait un peu troublée, hésitante. Elle n’avait qu’une envie : retrouver la confiance des humains. Mais elle savait que le directeur ne pouvait pas tout faire tout seul. Il fallait qu’elle se livre, qu’elle se décrive, pour qu’il comprenne plus de choses sur elle. Elle réfléchit encore, et finalement soupira longuement.

    – Je ne peux pas tout vous dire, mais je pourrais vous répondre à quelques questions.

    Le directeur releva la tête et s’assit derrière son bureau. Il joignit les mains et les posa devant lui. Il regarda Sherockee droit dans les yeux.

    – Pour être franc, je ne pensais pas que vous accepteriez. Mais, je me suis trompé ! Bien, allons-y alors. D’abord, j’ai une petite question concernant le tout début de votre affaire. Si je me rappelle bien, nous vous avons emmené à l’hôpital suite à un malaise…

    – Pas tout à fait un malaise mais continuez…

    – Oui, donc nous vous avons emmené à l’hôpital suite à un évanouissement subit si vous préférez, et vous êtes enfuie. Ensuite, si mes sources sont bonnes, vous êtes allée chez l’agent Carter…

    – L’agent Carter ? Dimitri ?

    – Oui, Dimitri si vous voulez. Donc, vous êtes allée chez lui après vous être enfuie de l’hôpital, pour lui demander d’annuler le procès. C’est bien ça ?

    – Exactement ! Eliott vous a bien renseigné ! Mais je ne vois pas bien où vous voulez en venir…

    – Je voudrais savoir pourquoi…

    – Ah ! Il fallait le dire plus tôt ! Je me suis enfuie à cause de… Personnes, qui… En fait, je pense que se sera plus facile à raconter si je remonte un peu plus loin. Cela faisait un peu plus d’un an que je voulais reprendre mon poignard, vous savez ce couteau que vous m’avez si gentiment confisqué après l’avoir trouvé sur moi en France ! Il se trouve que c’était eux qui l’avaient à ce moment-là. Je devais le reprendre, car, que vous le croyez ou non, c’est la seule arme capable de me tuer. C’était super important pour moi, je ne voulais pas abandonner. J’y ai travaillé jour et nuit sans relâche, pendant des semaines et des semaines. Et j’ai réussi à les retrouver. Ils se trouvaient alors à quelques kilomètres de New York et je voulais absolument m’y rendre. Il le fallait à tout prix. Mais finalement, ce sont eux qui m’ont retrouvé ! Et puis, je me suis retrouvé dans vos interrogatoires. Je savais que je n’étais pas en sécurité, mais je savais aussi qu’ils n’allaient pas prendre le risque d’attaquer devant vous, humains, surtout aussi nombreux et avec une grand importance dans la société. C’est vrai, s’ils s’étaient montrés, vous auriez pu lancer une enquête ! Sauf qu’ils ne veulent pas se faire connaitre. Mais lorsque j’ai fini à l’hôpital… Je me suis dit qu’ils n’allaient pas attendre plus longtemps, ils en avaient déjà perdu assez. Et puis, ils se fichent de tuer des malades et des innocents. Donc, je me suis enfuie, pour vous protéger. Je ne voulais pas qu’à cause de moi, les personnes autour soient affectées par cette attaque. Mais… Dimitri est quand même mort. Je ne me le pardonnerais jamais.

    Sherockee avait le regard plus sombre, certainement à cause des mauvais souvenirs qui étaient remués. Elle baissa la tête. Le directeur semblait perturbé, il était plongé dans sa réflexion. Au bout d’un moment, il releva tête et croisa les bras sur la table.

    – Ecoutez… Je ne sais pas si je suis le mieux placé pour vous le dire, mais je pense que vous ne devriez pas prendre ça sur vous. Vous n’en êtes pas responsable, ce meurtre n’a pas été causé par vous. Je pense aussi que j’ai ma part de responsabilité là-dedans ; je n’aurai jamais dû accepter qu’il y aille sans plus de préparation. J’ai fait une grave erreur.

    Le silence qui suivit cette phrase fut pesant. Sherockee venait de réaliser à quel point elle aimait le contact avec les humains. L’homme en face d’elle se redressa sur sa chaise.

    – Si vous voulez bien, je voudrais continuer à vous poser quelques questions.

    – Oui, oui, bien sûr.

    – C’est à propos de ce qui s’est passé après que vous vous soyez enfuie. Toute l’équipe m’a décrite comment ils avaient pu vous retrouver. C’est grâce à Jonathan qui a trouvé votre position, sous le sable. Mais je me demandais comment ça avait pu être possible.

    – Ah ! Les questions, les questions… En voilà une à laquelle je ne peux pas répondre !

    – Pourquoi ça ?

    – A cause d’eux…

    – Qui sont-ils ? Et pourquoi ne veulent-ils pas que vous répondiez à certaines questions comme cela ?

    – Eux, ce sont des gens que vous ne devez pas connaitre, qui sont prêts à tout pour… Pour que personne n’en sache trop sur moi et sur eux. Je sais, ça parait étrange et inutile, mais c’est la vérité.

    – D’accord, pas de problème. Je peux continuer quand même ?

    – Allez-y, je pense que je peux vous répondre encore un peu.

    – Bien, je crois comprendre que ceux qui vous ont retenue dans ce bunker sont ceux que vous venez de me présenter. Mais, pourquoi vous ont-ils retenue dans ce bunker ? Pour vous prévenir que vous n’aviez plus le droit de dire certaines choses ?

    – Non… Ça je le savais depuis longtemps ! Ils…

    Sherockee replongeait dans des souvenirs douloureux. Elle soupira.

    – Vous voyez, c’est comme si je détenais les clés d’une boîte, ou d’une maison si vous voulez. Cette clé, je suis la seule à pouvoir l’avoir. Personne d’autre ne peut la posséder, c’est comme si elle n’obéissait qu’à moi et seulement moi. Je suis donc la seule à pouvoir entrer dans cette maison. Mais, eux, ils voulaient rentrer.

    – Pourquoi ?

    – C’est pénible quand même au bout d’un moment les questions ! J’y viens, trente secondes, laissez-moi le temps de reprendre un peu mon souffle, merci ! Ils voulaient rentrer pour prendre quelque chose qui s’y trouve, de très précieux. Ils voulaient rentrer pour…

    Sherockee se leva et commença à faire le tour du bureau. Elle aimait jouer avec les nerfs, elle laissait toujours un peu de suspens. Le directeur s’impatientait, il ne tenait plus en place.

    – Quoi ? Pour quoi ?

    – Le pouvoir…

    – Le pouvoir ? Sérieusement ? C’est un peu étrange non ?

    – Pour vous, oui, mais pour eux… Vous avez entendu ?


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