• Sherockee ne répondit pas. Elle sentit une joie immense l’envahir, comme le premier rayon de soleil après un hiver nuageux et froid. Elle sentait son cœur battre fort, ses poumons s’emplir d’un air pur. Elle était heureuse. La petite fille ne mit pas longtemps à s’endormir profondément. Sherockee ne dormit pas de la nuit, mais ça lui était égal. Le soleil commençait à se lever lorsqu’elle entendit frapper à la fenêtre. Elle retira doucement son bras et se leva, en faisant le moins de bruit possible. Elle embrassa la petite sur le front et sortit par la fenêtre. Une flèche se planta juste à côté d’elle, dans le mur. Sherockee ria, la prit et sauta de la fenêtre. Elle arriva dans l’arbre, une nouvelle flèche arriva et se planta dans une branche. Elle la prit aussi, et s’en alla en courant. Elle prit des plusieurs rues, toujours en récupérant les flèches qui étaient tirées. Enfin, elle arriva dans Central Park, où elle s’arrêta derrière un arbre. Une nouvelle flèche arriva, elle se baissa et la prit.

    – Je crois que j’ai toutes tes flèches là, non ?

    Danam arriva, son arc en main.

    – C’est bon, tu t’es bien amusée ? Rends-les-moi maintenant ! Le jeu est fini !

    – Ok !              

    Sherockee planta toutes les flèches dans la terre, en les enfonçant bien. Danam lui lança un regard noir.

    – Dis, pourquoi tu es toujours obligée de me faire chier ?

    – Je ne sais pas, mais c’est vachement drôle ! Bon, sinon, à part me lancer des flèches pour que je les plante comme des arbustes, tu voulais quelque chose ?

    – Qu’est-ce que tu fais depuis hier ? Tu ne vois pas que tu fais n’importe quoi ?

    – Pourquoi ? Je ne trouve pas que regagner la confiance des gens c’est faire n’importe quoi !

    – Sauf quand les gens ce sont les humains ! Tu ne peux pas leur faire confiance ! Ils ne sont pas comme les autres peuples ! Ils sont débiles !

    – Je ne te laisserai pas dire ça ! Les humains ont certes des défauts, mais ils ont beaucoup d’intelligence, peut-être plus que toi ! Tu n’as pas vu comment ils arrivent à changer de simples morceaux de métal ou de bois pour en faire un instrument ? Tu n’as jamais goûté leurs mélanges entre les aliments qui donnent des saveurs merveilleuses ? Mieux encore, tu n’as jamais prêté attention à leurs sciences ?

    – Je ne te parle pas de ça Sherockee ! Tu ne peux pas encore avoir confiance en eux ! Pas après ce qu’ils t’ont fait !

    Sherockee regarda Danam dans les yeux. Il savait qu’il en avait trop dit, encore une fois. Et cette fois, Sherockee ne voulait pas laisser tomber.

    – Maintenant, tu vas me dire. Je veux comprendre Danam, je sais qu’il y a quelque chose que tu me caches, quelque chose qui te fais mal. Je sais qu’il y a quelque chose qui nous relie, quelque chose entre nous. Mais je ne sais pas quoi. Toi, tu le sais. Et ça ne te fais pas du bien de le garder. Dis-moi, je t’en supplie !

    Danam n’avait qu’une envie : s’en aller. Mais il ne pouvait pas. Le regard merveilleux de Sherockee le retenait planté là. Il ne voulait pas répondre, mais elle continua à insister.

    – S’il te plaît…

    – Tu n’es pas prête.

    – Pas prête à quoi ? Quand est-ce que je serai prête d’après toi ?

    – Je ne sais pas. Mais tu ne l’es pas.

    – Danam ! J’ai toujours appris des choses avec les peuples, même les choses les plus incroyables et les plus dures ! J’ai vu des choses qui m’ont terrifiées ; j’ai vu un enfant mourir à la guerre, une personne mourir dans mes bras, j’ai vu la mort s’abattre sur un monde tout entier, j’ai vu l’obscurité remplacer à jamais le jour… Je n’ai pas peur de ce que tu as à me dire et je veux savoir ce que tu me caches. Je te connais depuis longtemps, j’ai l’impression de t’avoir toujours connu. Pourtant, je ne sais rien de toi. Je ne sais rien de nous.

    Le visage de Danam changea radicalement tout d’un coup. Une ombre de tristesse l’envahit, un voile couvrit ses yeux. Sherockee le remarqua. Elle se rapprocha un peu.

    – Qu’est-ce qu’il y a ?

    – Rien… Rien.

    – Ne mens pas, il y a quelque chose qui ne va pas.

    – C’est rien je te dis !

    – C’est à cause de ce que j’ai dit ? C’est ça ?

    Danam ne voulait plus répondre. Il avait l’impression que la discussion allait beaucoup trop loin, mais il ne pouvait pas bouger de là. Quelques instants passèrent, en silence. Sherockee sourit et mit les mains sur les hanches.

    – Tu n’es pas devenu muet en quelques secondes quand même ? Ce serait vraiment dommage sinon, je ne pourrai plus rire parce que tu m’en mets plein dans la gueule ! Ma vie serait vraiment beaucoup moins marrante sans tes répliques de la mort qui tue !

    Sherockee rit.  Danam n’arrivait plus à réfléchir, comme si les pensées s’étaient bloquées instantanément dans sa tête. Il serra un peu les poings.

    – Tu m’as déjà parlé de “nous”, ensemble.

    – Quoi ? Sérieusement ?

    – Oui.

    – Je m’en souviendrais, non ? Tu délires ou quoi ?

    – Non et je m’en rappelle très bien. Comme si c’était hier.

    – Sérieusement ?

    – Sérieusement.

    Sherockee réfléchit quelques secondes. Elle savait ce que voulais dire Danam par “nous, ensemble”. Elle savait que c’était pour parler d’un moment où ils étaient proches, mais pas de la façon dont ils l’étaient à ce moment. Une façon plus proche, où ils étaient plus en accord, peut-être vraiment beaucoup plus.

    – Danam, je ne vois vraiment pas quand ça aurait pu arriver ! Regarde comment on se parle, remonte aussi loin que tu veux, je ne vois vraiment pas.

    – C’est normal. Tu ne peux pas savoir. Tu ne veux pas te rappeler.

    – Comment ça ? Bien sûr que je le veux !

    – Non, sinon tu n’essayerais même pas d’aider les humains !

    Sherockee souffla et inclina la tête.

    – Bon, dis, tu veux bien me dire ce qu’il se passe dans ta tête ? Qu’est-ce qu’il y a là-haut ? Pourquoi tu me le caches, hein ? Tu as peur de quoi au juste ?

    Danam serra fortement les poings. Mais elle continuait.

    – Tu as peur pour moi ? Non, je ne pense pas… Tu as peur pour toi ? Tu as peur que je sache la vérité sur une partie de toi que tu cherches à cacher ? Tu as peur de te montrer faible, de montrer que tu es comme tout le monde, avec tes faiblesses ? Tu as des faiblesses, je le sais ! Tu n’es pas un mec qui n’a peur de rien, tu as des faiblesses Danam !

    Ce fut de trop. Danam voulu attraper Sherockee au cou, mais elle esquiva le coup et se mit derrière lui. Il se retourna en un quart de seconde et tenta plusieurs fois de la frapper. Mais elle faisait preuve de toute l’agilité et de toute la rapidité dont elle était capable, esquivant coup sur coup. Jusqu’à ce que Danam la fasse tomber en lui infligeant un coup de jambe sur les genoux. Elle tomba par terre, il se jeta sur elle. Il la prit à la gorge, leva son poing, mais le garda en l’air. Finalement, il baissa le bras, se releva et partit. Sherockee se redressa aussi brusquement qu’elle était tombé et couru derrière Danam.

    – Quoi ? C’est tout ? Tout ça pour ça ? Danam !

    Elle était énervée. Elle marchait vite, en frappant du pied dans les pierres sur son chemin. Danam continuait à marcher, les poings serrés et la tête basse, mais elle n’avait pas envie de le suivre indéfiniment. Elle s’arrêta et râla, prononçant des mots incompréhensibles. Elle allait se retourner lorsqu’il fit demi-tour. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, ne releva pas la tête, mais fit un signe de la main.

    – Suis-moi, chuchota-t-il.

    Sherockee soupira et passa derrière lui. Elle ne savait pas pourquoi elle continuait à faire ce qu’il lui demandait. Ils marchèrent pendant une quinzaine de minutes, pour arriver dans une partie déboisée du parc, une plaine d’herbe. Il commençait à y avoir un peu de monde, malgré l’heure matinale. Sherockee s’arrêta devant Danam.

    – Bon, j’aime bien les petites balades, mais si tu pouvais me dire ce que tu veux faire maintenant, ce serait gentil.

    – Je vais te montrer.

    – Mais tu sais, on n’a pas besoin de faire tout New-York pour trouver une impasse pour se cacher derrière une benne ! Tu me donnes ta main, tu me laisses faire et c’est bon !

    – Non Sherockee, ça ne fonctionne pas comme ça pour les souvenirs comme les miens. Et puis, j’avais seulement l’attention de m’arrêter un peu plus loin, mais ça m’est égal, on peut s’arrêter ici.

    – Très bien ! Bien, maintenant, si ma méthode ne fonctionne pas pour tes souvenirs, comment on fait ?

    – Tu me fais confiance ?

    – Non !

    – Fais-moi le plaisir de me faire confiance juste pour cette fois !

    Avant que Sherockee n’ai le temps d’ajouter quelque chose, Danam posa sa main sur son front. Elle sentit soudain le sol se dérober, ou plutôt ses jambes ne plus pouvoir la soutenir. Elle ferma les yeux sans le vouloir, sentit une main la rattraper et son corps tout entier se poser au sol.


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  • 20

    Queens, quelques minutes plus tard

    Sherockee s’arrêta. Elle avait couru un peu plus vite, elle était essoufflée. Elle se reposa quelques instants sur une barrière bordant le parc, puis reprit sa route, en marchant cette fois. Elle prit une rue et arriva entre d’immenses immeubles. Elle se dirigea vers l’un d’entre eux puis entra. Elle monta les étages – toujours avec les escaliers – et s’arrêta devant une porte. Elle regarda longuement la porte, soupira et frappa plusieurs fois.

    – J’arrive, j’arrive ! cria une voix complètement hystérique.

    Sherockee n’attendit pas deux secondes. La porte s’ouvrit violemment, laissant apparaître une jeune femme, parée de bijoux scintillant, d’une robe qui avait dû récupérer toutes les facettes des boules disco du quartier et maquillée comme une voiture volée. Un véritable chef-d’œuvre vivant. Sherockee regarda la jeune femme, qui soupira.

    – Moi qui croyais qu’il arriverait enfin à l’heure… Bonjour, c’est pour quoi ?

    La jeune femme fixa Sherockee qui n’en revenait toujours pas. Mais elle n’eut pas à répondre, la femme le fit à sa place.

    – Ah ! Mais oui ! Je me disais bien que je vous avais vu quelque part ! Vous êtes celle qui a tué mon frère ! Quelle chance que vous soyez là, j’avais justement envie de balancer quelqu’un par la fenêtre !

    La femme ne semblait pas énervée, mais plutôt exaspérée. Elle mit la main sur sa hanche et dévisagea Sherockee de la tête aux pieds.

    – Vous voulez quelque chose ? Me tuer peut-être ? C’est vrai, tant qu’on y est, laisse-moi sur le palier ! Comme ça, lorsque le vieux du troisième remontera, il me trouvera dans une mare de sang, ce sera cool !

    – Eh ! Pourquoi est-ce que tout le monde croit que je vais tuer quelqu’un ?

    – Je ne sais pas, peut-être parce que vous êtes une meurtrière ? Ou alors peut-être parce que vous avez juste…

    – C’est bon ! Ça va, j’ai compris ! De toute façon, ce n’est pas la peine que j’essaye de discuter, je suis bloqué dans cette case ! Sinon, je voulais juste pour vous montrer la vérité, mais je ne sais pas si je vais pouvoir là…

    – Me montrer la vérité ? Parce que vous avez pris une vidéo ?

    – Non, mais si vous me donnez votre main, je peux vous montrer.

    – Vous êtes vraiment une très bonne menteuse ! Déjà vous mentez très bien au FBI et maintenant vous voulez me faire avaler cette histoire ? Allez, pour être sympa avec vous, je vais vous dire s’il se passe quelque chose lorsque je vais prendre votre main !

    La jeune femme tendit sa main à Sherockee qui la prit délicatement. Le visage de la femme changea radicalement. Sherockee lui faisait voir la scène, mais seulement la lutte dans les escaliers, le poignard dans le dos et les coups de feu. Jamais le visage de Danam. Mais elle vit. Ensuite, Sherockee sourit et descendit les escaliers. Elle entendit la porte se refermer, tout doucement. Elle croisa un jeune homme en costard cravate avec une petite rose dans la poche avant, les cheveux laqués, plaqués sur le crâne.

    – Tu ferais bien de te dépêcher, elle t’attend !

    Le jeune homme se retourna alors que Sherockee s’en allait en riant. Elle descendit et sortit dans la rue. Lukas avait garé la voiture et s’était appuyé contre le capot.

    – Vous êtes déjà là ? Je vous attendais !

    – Oui, je suis déjà là et c’est déjà fini ! Prochaine destination, Union City ! Allez, on se retrouve là-bas !

    Avant que le directeur n’ait le temps de rajouter quelque chose, Sherockee se sauva en courant. Elle courut un peu plus doucement que la fois d’avant, mais gardait un bon rythme. Elle arriva sur les bords de l’Hudson quelques minutes plus tard. Elle accéléra et descendit sur le bord de la rivière, sur les digues. Elle accéléra encore et arriva à un pont, qu’elle prit. Elle ralentit et le passa. Les automobilistes regardaient bizarrement cette femme qui courait aussi vite que roulaient leurs voitures. Certains enfants lui faisaient des signes, certains des grimaces, auxquels Sherockee répondait volontiers. Lorsqu’elle eut passé le pont, elle accéléra de nouveau et prit la voix rapide menant à North Bergen, puis arriva dans West New York. Là, elle fit une petite halte et marcha un peu, pour reprendre son souffle. Lorsque son rythme cardiaque fut redescendu, elle reprit sa course. Elle était presque arrivée. Elle tourna plusieurs fois dans les rues et arriva dans la bonne. Elle marcha plusieurs mètres et s’arrêta devant une maison. La voiture de Lukas arriva juste après elle. Sherockee s’avança vers la sonnette et appuya plusieurs fois. Une mélodie bien connue retentit à l’intérieur de la maison. Un homme à la peau noire et aux cheveux blancs comme neige ouvrit la porte et s’avança au portail.

    – Bonjour mademoiselle… Sherockee ?!

    – Pardonnez-moi, je sais que ça ne se fait pas de venir ainsi chez les gens, sans prévenir.

    – Tout dépend de la raison pour laquelle vous êtes là, dit l’homme, un peu méfiant.

    – La vérité. Je sais, c’est étrange mais c’est vrai. Je suis déjà aller voir deux personnes pour ça aujourd’hui, et après vous, j’en ai encore une.

    – Très bien… Dites-moi, cette vérité…

    – Malheureusement, c’est celle du FBI, pas la mienne. Je ne voulais pas que les gens affectés par cette affaire l’apprennent par les médias, ils ont toujours tendance à en rajouter. Et puis, c’est mieux pour moi, c’est une façon de me dire que j’ai au moins fait quelque chose de bien.

    – Je ne pense pas que vous ayez fait seulement de mauvaises actions.

    – Si vous saviez ! Pour vous, à votre place de spectateur, peut-être que je n’ai pas fait que des choses mal, mais pour moi, c’est bien différent. C’est moi qui fais les actions, c’est moi qui ai causé des ennuis.

    – Peut-être, mais vous vous en êtes rendue compte et seuls les gens biens savent faire ça !

    – Non, même les plus grands criminels peuvent s’en rendre compte, un jour ou l’autre ; même ceux qui n’ont pas voulu avouer leurs crimes. Tout le monde est capable de le faire, mais certains ne le font pas devant les autres, certains se l’avouent pour eux, seuls. Pour moi, il n’y a pas de “gens biens”. Seulement des humains.

    L’homme sourit et fronça les sourcils et ouvrit le portail.

    – Vous avez l’air d’en connaitre un rayon… Bien, revenons-en à notre vérité. Vous avez donc tué ces quatre hommes ?

    Sherockee remonta son regard et glissa ses doigts entre ceux du vieil homme. Celui-ci ferma les yeux, tout son visage se détendit. Sherockee lui faisait voir la scène, mais seulement la lutte dans les escaliers, le poignard dans le dos et les coups de feu. Jamais le visage de Danam. Mais il vit. Lorsque Sherockee rouvrit les yeux, elle sentit les doigts qu’elle tenait se resserrer.

    – Il y a une chose en laquelle j’ai toujours cru : c’est en Dieu. Et il y a une chose en laquelle j’ai eu tort de ne pas croire : c’est en vous. Les autres pourront penser ce qu’ils veulent, moi je croirais en vous désormais.

    Sherockee rougit et baissa la tête. Elle se retourna et se dirigea vers Lukas, qui sortit de sa voiture. Elle s’appuya sur le capot et regarda fixement le directeur.

    – La dernière personne que je vais voir est à New York.

    – Super, on va la voir et on retourne au bureau du FBI ensemble !

    – Non, ce n’est pas prévu comme ça ! Vous, vous allez rester là pour attendre la dépanneuse !

    – La dépanneuse ? Pourquoi ?

    Sherockee rit et fit le tour de la voiture aussi vite qu’un éclair, en plantant sa dague dans les quatre pneus de la voiture. Elle revint devant le directeur et rangea sa dague.

    – Sincèrement désolée, mais je déteste que l’on me suive…

    Elle rit une nouvelle fois et s’en alla en courant. Le directeur soupira et sortit son portable.

    Sherockee courait tranquillement. Elle descendait vers le sud, en regardant l’Hudson briller à la lueur du coucher de soleil. Au bout d’un moment, elle s’arrêta sur les quais et s’appuya à la barrière. Le paysage était calme, la lueur dorée du soleil donnait une impression un peu féérique sur les quais. Sherockee aimait se détendre au bord de l’eau. Elle regardait l’eau couler tranquillement. Elle se pencha un peu et vit son reflet sur l’eau. Toujours aussi belle, toujours aussi lumineuse.

    Elle se fixait depuis quelques secondes, lorsque le visage de Danam apparu subitement. Sherockee garda son sang-froid. Elle fixa cette image de Danam. Son cœur battait à toute allure, sa respiration était saccadée, mais elle maintenait son regard. Elle vit soudain le visage changer d’expression, s’illuminer ; les yeux devinrent marrons presque noirs, les cheveux changèrent de couleur pour devenir roux, presque châtains. Cette fois, Sherockee recula hâtivement. Elle chercha de quoi s’appuyer, mais ne trouva rien. Elle s’assit par terre, ou plutôt se laissa tomber. Son cœur battait trop vite, sa respiration était difficile. Elle prit sa tête entre ses mains. Au bout de quelques instants, elle se releva et marcha tranquillement, en s’éloignant un peu du bord du quai. Elle ne comprenait pas comment une simple image de Danam la terrifiait ainsi, la mettait dans un état de peur intense. Elle se rappela qu’elle devait encore aller voir une personne ce soir, une personne qui était à New York. Elle se mit à courir, vite. Elle sauta la barrière du quai et se retrouva sur l’eau, à frôler la surface scintillante de l’Hudson, comme une patineuse artistique. Elle réfléchissait toujours, mais en pensant à la personne qu’elle allait voir. Elle arriva à New York au bout de quelques secondes et continua sa route. Elle parvint, essoufflée, devant une grande bâtisse. Elle s’arrêta deux ou trois minutes et puis alla frapper à la porte. Une femme aux traits tirés ouvrit.

    – C’est pour quoi ?

    – Est-ce que je pourrai voir quelqu’un ici ?

    – Désolée mais les visites sont finies. Revenez demain.

    La porte se referma avant même que Sherockee n’eut le temps de demander autre chose. Elle soupira et fit le tour. Arrivée à un endroit que l’on ne pouvait pas voir depuis la rue, elle se mit à grimper à la façade. Il commençait à faire nuit, Sherockee devait faire attention. Elle était déjà haut lorsqu’elle vit un faisceau lumineux s’approcher. Elle chercha de quoi se cacher et dû se résoudre à descendre dans l’arbre en dessous. Elle essaya de faire le moins de bruit possible, mais elle cassa des branches et fit tomber des feuilles sous l’effet de la panique. Elle se tapit dans l’arbre, en regardant en contre-bas. Le faisceau lumineux se rapprocha, se rapprocha et finit par s’éloigner. Sherockee souffla de soulagement. Elle passa seulement la tête en dehors de l’arbre, puis, voyant que tous dangers étaient écartés, elle décida de continuer à monter. Elle grimpa un peu plus rapidement cette fois. Lorsqu’elle fût au milieu de la façade, elle s’arrêta et se dirigea vers une fenêtre. Elle glissa ses doigts habilement et réussit à ouvrir la fenêtre. Elle arriva dans une petite chambre, noire, avec pour meubles un bureau, une chaise, un lit et une petite commode, recouverte de bougies et de photos. Mais elle n’eut pas le temps d’en voir plus : une personne essaya de lui faire une prise par derrière, pour la faire tomber. Sherockee se retourna brutalement, et plaqua l’autre au sol, mais assez doucement pour une fois.

    – On est agressé de partout dans ce pays !

    – Forcément lorsqu’on tue des gens !

    La fille tenue par Sherockee se débattait autant qu’elle pouvait, mais sans pouvoir bouger.

    – S’il te plaît, calmes-toi. Je ne te veux aucun mal, mais je tiens aussi à ne pas me faire remarquer, chuchota Sherockee. Je te lâche, je te fais confiance pour ne pas courir dans le couloir en criant que je suis là ! S’il te plaît.

    Sherockee relâcha lentement la petite fille qui se redressa brusquement. Elle se remit debout et essaya de nouveau de faire tomber Sherockee en lui faisant une nouvelle prise. Mais elle n’avait pas prévu que Sherockee esquive le coup et la plaque une nouvelle fois au sol.

    – J’avais oublié ce point. Si tu pouvais éviter d’essayer sur moi toutes les prises de karaté, de judo, de boxe ou d’autre chose, ça m’éviterai de gaspiller de l’énergie et ça t’éviterai de finir la tête sur cette moquette pleine de poussière. On va faire quelque chose : je te lâche, je te montre quelque chose et je m’en vais. Ça te va ?

    – Quand tu dis “on”, il faut qu’on soit plusieurs ?

    – Oui ! C’est pour ça que je dis je TE lâche, je TE montre et je m’en vais !

    Sherockee relâcha la petite fille qui se remit sur ses jambes rapidement. Elle fixa Sherockee dans les yeux, les sourcils froncés pour se donner un air sévère. Sherockee rit.

    – Ne fais pas cette tête, tu me fais peur !

    – C’est pas marrant ! Tu tues mon père et tu viens me voir, tu trouves pas qu’il y a quelque chose de bizarre ?

    – Je sais, je sais. Bon, j’avais dit que je te montrais et que je m’en allais.

    – Et qu’est-ce que tu as à me montrer ?

    – Donne-moi ta main.

    – Pour quoi faire ?

    – Pour te montrer ! Fais-moi confiance, s’il te plaît.

    L’enfant regarda Sherockee avec les sourcils encore plus froncés. Elle tendit sa main, Sherockee y glissa ses doigts. Le visage de la petite se relâcha complètement. Sherockee lui faisait voir la scène, mais seulement la lutte dans les escaliers, le poignard dans le dos et les coups de feu. Jamais le visage de Danam. Mais elle vit. Lorsque ce fut fini, Sherockee rouvrit les yeux et lâcha la petite main qu’elle tenait. L’enfant rouvrit les yeux aussi et les plongea dans ceux de la jeune femme. Celle-ci était sur le point de partir lorsque la petite se précipita vers elle pour enrouler ses bras autour du cou de Sherockee. Elle fut si surprise qu’elle resta quelques instants sans bouger, puis, elle enroula doucement ses bras autour de l’enfant.

    – Pourquoi il a fait ça ? Pourquoi tu ne t’es pas enfuie ?

    Sherockee baissa un peu la tête.

    – J’avais peur.

    L’enfant se dégagea de l’étreinte de Sherockee et alla s’asseoir sur le lit. Son regard se perdit au-dehors, par la fenêtre.

    – Moi aussi j’ai peur, je pense que c’est normal d’avoir peur. Même les garçons qui se croient les plus beaux, les plus forts, ils ont peur.

    – Oui, tout le monde a peur.

    – Mais, pourquoi la peur nous fait faire des choses qu’on ne veut pas ?

    Sherockee sourit et alla s’asseoir à côté de l’enfant.

    – Il faut se poser les bonnes questions au bon moment. La première chose à se demander, c’est qu’est-ce que c’est, la peur ?

    – Un sentiment qu’on ressent quand quelque chose nous effraie.

    – Oui, et pourquoi on a peur ?

    – Parce qu’on a l’impression d’être en danger…

    – Oui, mais pas seulement. Réfléchis. Par exemple, lorsqu’un chat part en courant parce qu’il a vu une ombre effrayante, quand un cheval s’arrête brusquement devant un obstacle trop haut, qu’un chien revient à son maître parce qu’il a entendu un bruit inquiétant, qu’un petit garçon cri parce que quelqu’un s’est caché derrière un mur et a surgi en poussant un cri… Ils ont tous peur parce que leur instinct les empêche de faire quelque chose ou les protège…

    – C’est l’instinct de survie ?

    – Si tu veux.

    – Alors la peur nous permet d’éviter de se mettre en danger ?

    – Pas forcément. Mais, maintenant, tu peux te reposer ta question.

    – La peur nous fait faire des choses qu’on ne veut pas pour survivre, esquiver un danger.

    – Chacun comprendra ce qu’il veut après, mais je dirai que c’est bien résumé.

    – Alors ça, c’est vrai que j’y aurai pas pensé… C’est cool de se poser les bonnes questions au bon moment ! Ça aide vachement en fait !

    Sherockee rit. La petite se rapprocha et remonta son regard vers les yeux vers de Sherockee.

    – Tu peux encore m’aider à savoir quelque chose ?

    – Oui.

    – Est-ce que je vais trouver une gentille famille ? D’abord, est-ce que je vais trouver une famille ?

    Sherockee regarda tendrement l’enfant, essayant de cacher sa tristesse. Elle sourit, puis soupira.

    – Je ne peux pas répondre à ces questions. Mais, tu es là à cause de moi et je te promets de tout mon cœur que je ferai tout pour que ta famille t’aime.

    – Mon père m’a toujours appris à ne jamais promettre quelque chose, parce que selon lui, si on n’arrive pas à tenir sa promesse, c’est comme si on avait tué quelqu’un.

    – Peut-être, mais il n’y a pas de limite pour tenir une promesse. Seulement une vie. Et si l’autre meurt sans qu’on ait eu le temps de tenir la promesse, là on a vraiment tué quelqu’un.

    – Mais pourquoi il faut mourir ? C’est nul, on pourrait vivre plus longtemps, non ? Comme ça on pourrait voir plus de choses, et puis on n’aurait pas de limite de temps, pas de limite du tout !

    – Justement, imagine si tu pouvais faire n’importe quoi, tu ne t’arrêterais jamais. Tu pourrais faire tout ce que tu veux, rien n’aurai d’importance. Mais, ce n’est pas ça, la vie. La vie passe aussi par le temps et par le bonheur. Le temps est quelque chose de précieux, il faut savoir profiter. Certains pensent que la vie est trop courte, que ça ne sert à rien de toute façon, d’autres pensent à l’argent, à dominer, au pouvoir… Les limites de la vie sont quelque chose qui leur rappellent qu’ils vivent, qu’ils ont cette chance. Tout a une fin, la vie aussi. Celle des gens dans la rue, dans leur maison, dans leur voiture, dans leur bureau, la mienne, la tienne. Et s’il n’y avait pas de fin, le bonheur n’aurait pas de place. Le plus important serait de faire ce qu’on veut. Rien d’autre. Pas de place pour les relations, pas de place pour l’amour, l’amitié. Pas de place pour profiter, pas de place pour un coucher de soleil, un ciel étoilé. Pas de place pour le bonheur. Une vie sans bonheur, c’est une vie monotone, triste. C’est pour ça qu’il faut que la vie ait une fin, pour profiter d’un moment de plaisir, de bonheur. C’est quelque chose qu’il faut savoir voir mais que, malheureusement, beaucoup d’en vous voit trop tard pour en profiter pleinement.

    La petite fille resta sans bouger quelques secondes, méditant sur ces pensées. Sherockee leva la tête et voyant qu’il faisait déjà nuit, elle se dirigea vers la fenêtre.

    – Non ! Reste encore, s’il te plaît, la rappela l’enfant. Je ne veux pas passer encore une nuit seule. J’ai peur, j’ai besoin de quelqu’un. S’il te plaît !

    Sherockee sourit. Elle secoua la tête.

    – Je ne peux rien te refuser…

    Elle revint vers le lit et s’assit. La petite vint se coller à elle et posa sa tête contre son épaule.

    – Je m’appelle Sidney, mais tout le monde m’appelle Sissi, comme l’impératrice d’Autriche.

    – Enchanté, madame l’impératrice d’Autriche ! Moi, c’est Sherockee comme… Le peuple d’Amérindiens, mais avec un “S”. Mais tu le savais déjà je pense…

    – Oui ! Dis, tu as dit que tout a une fin. Mais, la tristesse aussi a une fin ?

    – Je ne sais pas. Je pense que la tristesse s’atténue, s’atténue, mais je ne sais pas si elle a une fin. Je ne sais pas si j’ai connu un jour une grande tristesse. Je ne sais pas tout.

    – Peut-être, mais tu en sais plus que moi ! Comment tu sais tout ça ? Tu as appris dans les livres ?

    – Non, on n’apprend pas tout dans les livres. Parfois, c’est la vie qui t’apportes des connaissances, des croyances, pas les livres. Dans les livres, une seule personne met ce qu’elle pense. Dans la vie, tu vois plusieurs personnes, différentes circonstances, par conséquent, tu te fondes tes opinions, tes croyances.

    – Tu vois, tu en sais beaucoup plus que moi !

    Sidney papillonna des yeux et bailla longuement. Sherockee sourit.

    – Tu ferais bien de dormir. Je vais te laisser si tu veux.

    – Tu rigoles ou quoi ? Je n’ai pas envie de passer la nuit toute seule. J’ai peur ici, toutes les nuits je me réveille parce que je fais des cauchemars !

    – D’accord, d’accord. Allez madame l’impératrice, vous devez dormir. Je reste là, je reste avec toi.

    – “Avec vous”, s’il vous plaît ! Je suis l’impératrice d’Autriche quand même !

    Elles rigolèrent. Sidney se mit dans son lit, mais elle ne ferma pas les yeux. Elle lança un regard à Sherockee et se mit tout au bord de son lit, invitant la jeune femme à venir s’allonger.

    – Viens, mon lit est pas grand, mais je pense qu’on peut tenir toutes les deux.

    Sherockee s’assit sur le bord du lit, puis s’allongea, un pied par terre pour éviter de tomber. La petite fille vint se coller contre elle et enfouit sa tête au creux de son cou. Sherockee la prit dans ses bras.

    – Tu es comme une maman maintenant pour moi, chuchota la petite en fermant les yeux.


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